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BESSIS Sophie

Solidarité internationale et cultures plurielles

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> Bulletin de la MTMsi (Maison du Tiers-monde et de la solidarité internationale) et du CDTM (Centre de documentation Tiers-monde) de Montpellier, décembre 2003, Montpellier

Cet article définit d’abord les notions de culture et de cultures plurielles pour mieux cerner ce que, en tant qu’associations de solidarité, nous voulons défendre. Il souligne les deux écueils à éviter : l’injonction mimétique, cette volonté des gens du Nord à vouloir que les autres deviennent comme eux, et assignation identitaire, qui consiste à les enfermer dans une identité figée. Ces deux faces du même miroir empêchent de penser l’autre non seulement dans sa diversité mais également dans son devenir. Il pose enfin la relation entre l’industrie, la culture et l’universel. Défendre la culture contre l’industrie culturelle semble la seule bataille à mener pour défendre la nécessaire diversité humaine sans tomber dans l’écueil différentialiste et pour sauvegarder la possibilité de construire de l’universel.

Je voudrais, pour commencer, faire un peu de provocation en citant une célèbre phrase de Césaire (Discours sur le colonialisme) à propos du livre du R.P. Tempels publié au début des années 50 sur la philosophie bantoue : « Vous allez au Congo ? respectez, je ne dis pas la propriété indigène (les grandes compagnies belges pourraient prendre çà pour une pierre dans leur jardin), je ne dis pas la liberté des indigènes (les colons belges pourraient y voir des propos subversifs), je ne dis pas la patrie congolaise (le gouvernement belge risquant de prendre fort mal la chose), je dis : vous allez au Congo, respectez la philosophie bantoue ! ». Cette citation me sert de prétexte pour poser une question préalable, même si on ne peut y répondre facilement : si on veut définir la diversité culturelle et la nécessité de la défendre, il faudrait d’abord entreprendre de définir la culture pour savoir ce qu’il convient de défendre. Ce préalable s’impose avant d’examiner les liens qui peuvent exister, ou plutôt qu’on peut construire, entre culture et solidarité en tenant compte des diversités culturelles qui caractérisent l’humanité. Si on a aujourd’hui l’impression que la tâche est urgente, c’est qu’on pressent que les dernières cultures dites authentiques sont en train de disparaître du fait du rouleau compresseur de la mondialisation. C’est peut-être vrai, mais qu’est-ce qu’une culture authentique et par quoi est-elle remplacée quand elle disparaît ? On peut aussi s’interroger avec Amartya Sen « Est-ce que les peuples du monde peuvent être divisés en types de civilisations distinctes... ? Existe-t-il quelque supériorité, ou quelque priorité, en faveur de telle typologie de la population mondiale, qui serait préférable aux autres méthodes de classification basées, notamment, sur le régime politique, les langues, la littérature, les nationalités, les professions, les classes sociales ? » .

1/ De quoi parle-t-on ?

Qu’est-ce qu’une culture ? Pourquoi emploie-t-on aujourd’hui plutôt le terme de culture alors que celui de civilisation peut également être employé ? Que signifie la phrase inaugurale de la quinzaine : « les peuples se définissent souvent par leur culture » ? Que signifie le « souvent » : que certains se définissent ainsi et d’autres pas ? Et en fonction de quoi certains le feraient-ils et d’autres pas ? La culture est aujourd’hui un terme si galvaudé, si instrumentalisé, qu’il convient d’être prudent à son encontre.

Par quoi définit-on une culture : par sa religion dominante, son art, ses structures de parenté, ses modes de vie ? Mais, alors, ceux de qui : de la classe dominante, des couches dominées, des ruraux, des urbains, des femmes, des jeunes ? Il est, on le voit, nécessaire d’examiner les contenus multiples du terme de culture avant de parler de la diversité culturelle. Et n’oublions surtout pas que les peuples ne sont pas seulement les produits de leur culture, ils produisent de la culture, ils la font évoluer. La culture c’est aussi le mouvement. Un des grands dangers perceptibles aujourd’hui est de n’envisager la culture que comme un donné historique, sociologique, anthropologique, et non comme une construction-destruction continue. Dominants et dominés : Allons plus loin. L’histoire a toujours produit des cultures dominantes, celles des peuples impérialistes du moment. Ces cultures ont été plus ou moins pacifiques ou plus ou moins guerrières, ou tour à tour pacifiques ou guerrières selon qu’elles étaient en phase de conquête ou d’apaisement. L’ancienneté et l’attraction de la culture chinoise ont été telles en Asie de l’Est qu’elle a contribué à façonner les cultures coréenne, japonaise, vietnamienne. En Occident, on sait que l’Europe fut latine pendant plus de cinq siècles et que le latin s’est imposé comme langue dominante jusqu’au XVIe siècle. Chaque système-monde a eu pour langue véhiculaire celle de la puissance dominante de ce système-monde. La colonisation européenne a détruit de fond en comble les cultures pré-colombiennes mais n’a pas pu faire la même chose en Inde. Pourquoi ? A partir de quels ingrédients une culture se défend-elle ? De quoi parle-t-on en invoquant la diversité culturelle ? A partir de quoi essaie-t-on de la définir ? A partir des langages politico-identitaires des élites ou à partir des diversités qui existent à l’intérieur même des sociétés ? Ce qu’on a déploré, quand les Talibans afghans ont détruit les Bouddhas de Bamiyan, c’est la disparition d’un joyau du syncrétisme artistique helléno-hindou, caractéristique de la Bactriane hellénistique. Mais, pour justifier leur désir obsessionnel de faire exploser les Bouddhas, les Talibans se réclamaient d’une volonté de retour à une « authenticité » fondée sur le primat du religieux. Alors qu’est-ce que la diversité culturelle ? Faut-il stigmatiser la circulation culturelle accélérée par la phase actuelle (qui n’est pas la première) de la mondialisation ? La musique de Youssou N’dour ou de Salif Keïta n’existerait pas sans la mondialisation. Les jeunes de Bamako ou d’Alger qui chantent du rap ont le sentiment profond qu’en fabriquant cette musique ils produisent leur culture, celle des adolescents mâles des mégapoles urbaines du XXIe siècle.

Toutes ces questions me paraissent être des préalables à ce qu’il faut considérer comme une interrogation essentielle : jusqu’où doit-on défendre la diversité culturelle - c’est-à-dire défendre des spécificités - et à partir de quel moment cette défense revient à figer la culture dans une posture essentialiste ? Doit-on considérer ou pas qu’il existe des universaux nous permettant, au-delà de ces spécificités, d’avoir une vision commune de la condition humaine et de notre destin commun ? La bataille, aujourd’hui, ne me semble pas consister à défendre les cultures des uns ou des autres. D’abord parce que la légitimité d’une telle bataille est à prouver tant qu’on ne saura pas ce qu’on veut défendre dans la culture : défendra-t-on les mutilations génitales féminines en Afrique ou l’infériorité juridique des femmes dans le monde arabe ou la pratique de la dot en Inde au nom de la culture ? Je prends ces exemples pour illustrer un niveau de contradiction évident : si l’on veut défendre l’égalité des sexes, on s’oppose forcément à la culture comme un donné anthropologique puisqu’on souhaite une transformation des cultures citées.

2/ Les deux écueils

En fait, il faut se méfier du double confinement dans lequel les Occidentaux - c’est-à-dire les Européens et les Américains du Nord - ont historiquement tenté d’enfermer ceux qu’ils considèrent comme les autres : l’injonction mimétique et l’assignation identitaire. Ce sont les deux faces du même miroir qui empêche de penser l’autre, non seulement dans sa diversité, mais également dans son devenir et dans sa mutation. L’injonction mimétique : pour l’immense majorité des Européens et des Américains, le modèle proposé par l’Occident constitue l’horizon indépassable de la condition humaine et il n’est de salut que dans la reproduction mimétique de ce modèle. Outre la défense des intérêts des puissances, une bonne partie des erreurs et des faillites qui ponctuent l’histoire du développement des cinquante dernières années vient de cette conviction. On se pose certes, au Nord, quelques questions sur l’épuisement du modèle en son centre même. Cela n’empêche pas de l’exporter sur l’ensemble de la planète et, sans prononcer le mot qui a cessé d’être politiquement correct, de le considérer comme supérieur. L’universel, dans cette optique, c’est l’achèvement de l’occidentalisation du monde. Les rivalités intra-occidentales - que ce soit à l’époque où le communisme se posait en alternative ou entre Européens et Américains aujourd’hui - n’ont jamais affaibli cette conviction commune qui structure l’histoire moderne de l’Occident. L’assignation aux différences : il convient certes de réfuter cette vision réductrice du monde qui a autorisé et légitimé toutes les dominations. Mais sans tomber pour autant dans l’assignation identitaire qui relève d’un relativisme culturel dévastateur empêchant toute réflexion sur la modernité. Car affirmer l’équivalence non négociable de toutes les cultures ne doit pas revenir à décréter leur imperméabilité. En sanctuarisant les cultures dominées au nom de l’authenticité, en renvoyant tous les faits culturels d’une société donnée à de l’altérité, on fige des identités dont on refuse de considérer le statut historique : au lieu de produire de la culture, c’est-à-dire d’innover, les humains ne sont réduits qu’à être des produits de leur culture. Au faux universalisme occidentalo-centré fondé sur un dévastateur darwinisme des civilisations, le différentialisme oppose un fixisme fermant toute voie d’accès à des modernités économiques, politiques et sociales. Il faut donc échapper à ce double confinement pour tenter de poser deux questions : contre quoi et pour quoi lutte-t-on ?

3/ Industrie, culture et universel

Défendre la culture contre l’industrie culturelle : c’est, me semble-t-il, la seule bataille à mener pour défendre la nécessaire diversité humaine sans tomber dans l’écueil différentialiste et pour sauvegarder la possibilité de construire de l’universel. Culture contre industries culturelles : Productrices d’une sous-culture uniformisante, puisqu’elle sont fondées sur la logique du profit et les stratégies de réduction des coûts par les économies d’échelle, les industries culturelles sont destructrices de toutes les cultures et pas seulement des cultures dominées. L’industrie culturelle US tue la culture US comme elle tue les cultures européennes et celles des Suds. Cette sous-culture est produite par Hollywood, certes, puisque Hollywood est la capitale des industries culturelles de la puissance dominante d’aujourd’hui, mais elle est également produite par les multinationales japonaises et européennes. Il ne faut pas se tromper d’ennemis, et les solidarités ne peuvent pas se construire sur de l’angélisme.

La défense de la diversité culturelle doit donc être clairement de soustraire les cultures à l’hégémonie des logiques marchandes et non les figer dans une authenticité ambiguë.

Comment, par ailleurs, lutter contre l’hégémonie de la sous-culture dominante quand on connaît à la fois son pouvoir de séduction et la puissance de ses relais locaux ? Il faut en effet reconnaître que la sous-culture dominante a un formidable pouvoir de séduction. Qu’elle s’exprime par les modes de consommation, (personne ne va manger un Mc Do avec une mitraillette dans les reins), par son architecture (le pouvoir chinois n’est pas contraint de détruire ses villes pour construire des centres commerciaux, il a pourtant détruit Pékin en moins de quinze ans), ou par d’autres canaux, elle est un cas de totalitarisme mou. Il convient donc de se battre contre la marchandisation de la culture et la transformation des pratiques culturelles en objets commerciaux. C’est à ce titre qu’il convient de défendre le concept d’exception culturelle (nécessité d’exclure les manifestations et les outils de la culture de la sphère marchande) et non au titre de la défense d’une culture contre une autre. Diversité culturelle et universalisme : ce combat est indispensable quand on connaît les assauts des lobbies des industries culturelles dans tous les lieux où se prennent les décisions (Onu, Unesco que les Etats-Unis viennent de rejoindre pour anéantir de l’intérieur l’idée de l’exception culturelle, OMC, Bruxelles, etc...). Mais c’est le seul combat indispensable car il ne bloque pas la recherche d’universaux qui peuvent rapprocher les humains au-delà de leurs différences.

Car il existe, qu’on le veuille ou non, quelque chose qu’on pourrait appeler une culture universelle en formation, fondée sur des valeurs fondatrices de la modernité : l’égalité en dignité et en droits de tous les humains quels que soit le sexe, la race, la condition sociale, la religion etc. est une idée neuve dans le monde. Faut-il la réfuter parce qu’elle bouscule nombre de cultures ? Nous sommes aujourd’hui confrontés à un défi : comment fabriquer un universel puisant à toutes les cultures mais qui concoure également à leur transformation sans laminer les diversités humaines ? Comment fabriquer un universel intégrant les apports de la modernité occidentale sans pour autant qu’il se confonde avec l’hégémonie de l’Occident ? Comment traduire, dans l’humanité d’aujourd’hui, l’éternelle tension entre l’un et le divers, entre l’unité de la condition humaine et la diversité de ses expressions ? Au-delà de l’indispensable combat contre le totalitarisme de la sphère marchande, la rapidité de la circulation des informations, des images, des marchandises, mais aussi des humains, pose cette éternelle question sous des formes nouvelles.

document de référence rédigé le : 1er décembre 2003

date de mise en ligne : 11 avril 2005

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