bibliotheque internationale pour un monde responsable et solidaire ritimo

Le portail rinoceros d’informations sur les initiatives citoyennes pour la construction d’un autre monde a été intégré au nouveau site Ritimo pour une recherche simplifiée et élargie.

Ce site (http://www.rinoceros.org/) constitue une archive des articles publiés avant 2008 qui n'ont pas été transférés.

Le projet rinoceros n’a pas disparu, il continue de vivre pour valoriser les points de vue des acteurs associatifs dans le monde dans le site Ritimo.

cartographie interactive >  droits fondamentaux et sociétés  > L’affirmation des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux : une lutte au cœur du mouvement altermondialiste

CEDIDELP, ORTIZ Horacio, RIOUFOL Véronique

L’affirmation des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux : une lutte au cœur du mouvement altermondialiste

  • imprimer
  • envoyer
  • Augmenter la taille du texte
  • Diminuer la taille du texte
  • Partager :
  • twitter
  • facebook
  • delicious
  • google

> Cedidelp, mai 2005

Longtemps, les droits civils et politiques ont été érigés comme les seuls ou les principaux droits humains, marginalisant de ce fait les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, sexuels et reproductifs, etc. (DESCE) . On assiste pourtant depuis deux décennies à un renouveau de l’affirmation politique de ces droits qui recouvrent un ensemble d’aspirations humaines fondamentales : alimentation, éducation, logement, santé, accès à l’eau et aux services de base, conditions de travail dignes et sûres, liberté syndicale, environnement sain, préservation des ressources naturelles, etc. Les acteurs regroupés dans le mouvement altermondialiste ont puissamment contribué à cette évolution en promouvant les DESCE dans leurs luttes et en faisant de la défense des droits un axe décisif de leur combat pour la dignité humaine et la justice sociale.

Des mobilisations altermondialistes nombreuses en faveur des DESCE [1]

Le mouvement altermondialiste est né de la condamnation des dégâts provoqués par les politiques néolibérales en matière économique, sociale, culturelle et environnementale ainsi que de la conviction que d’autres formes d’organisation sociale sont possibles. Il apparaît sur la scène internationale à la fin des années 1990 à travers une série de mouvements et de mobilisations. Il devient incontournable à partir du Sommet de l’OMC à Seattle en 1999. A cette occasion, syndicats, écologistes, et associations de surveillance des institutions financières s’associent pour dénoncer les effets sociaux et écologiques désastreux de la libéralisation incontrôlée du commerce mondial et faire échouer le sommet. Le mouvement altermondialiste trouve cependant ses racines dans plusieurs mouvements antérieurs : critiques de la Banque mondiale et du FMI, luttes des « sans » (droit, logement, travail, papier), mouvements paysans, associations de solidarité internationale, lutte des zapatistes au Chiapas, mouvements écologistes... A mesure de son expansion, le mouvement altermondialiste agrège d’autres groupes comme des organisations de droits humains, des acteurs d’économie solidaire ou des associations féministes. Par-delà leur diversité, la plupart de ces luttes trouvent leur fondement dans la reconnaissance des aspirations de tous les êtres humains à mener une vie digne et revendiquent la primauté des droits humains sur le droit des affaires.

Un grand nombre de luttes portées par des composantes du mouvement altermondialiste ont trait aux DESCE. Parmi les plus célèbres, on peut citer :
-  la mobilisation internationale sur les médicaments génériques : droit à la santé
-  les actions anti-OGM : droit à une alimentation saine et de qualité, droit à un environnement sain, droit culturel
-  la lutte des paysans sans-terre : droit à une vie digne, au travail, à l’alimentation
-  les mouvement de protestation contre la privatisation de l’eau : droit à l’eau
-  la campagne pour l’annulation de la dette des pays du Sud : droit au développement, à l’éducation, à la santé, à l’eau, etc.
-  les budgets participatifs : démocratisation de l’accès aux infrastructures et services de base

Ces mobilisations ne font pas toujours explicitement et spontanément référence aux DESCE mais une approche en termes de droits humains est de plus en plus fréquente. Dans certains cas, des luttes anciennes sont reformulées en termes non plus de besoins ou de demandes sociales mais de droits. Pensons aux mouvements de « sans » qui fondent désormais leurs luttes sur la revendication d’un droit au travail, au logement ou de résidence ancré dans la dignité humaine. Dans d’autres cas, les mobilisations altermondialistes contribuent à la revendication de « nouveaux » droits tels que les droits des générations futures, le droit à l’eau ou les droits sexuels et reproductifs. Il arrive aussi que différents secteurs convergent autour de la défense d’un même droit, concourant ainsi à en préciser les contours et la portée politique. Le droit à la sécurité alimentaire a ainsi gagné en visibilité à partir du rapprochement entre syndicats paysans, organisations de solidarité internationale, groupes écologistes, associations de consommateurs, acteurs du commerce équitable et organisations de surveillance des multinationales. Soulignons enfin qu’un certain nombre d’associations ont choisi une approche par les DESCE comme cadre général de leur action ou comme nouvel axe de travail. C’est le cas d’organisations de solidarité internationale comme Oxfam au Royaume-Uni ou Terre des Hommes en France. C’est aussi le cas d’organisations de défense des droits humains, telles la FIDH et Amnesty International, qui ont toutes deux décidé d’élargir leur champ d’action traditionnel -les droits civils et politiques- pour engager des actions autour de la problématique « mondialisation économique et DESC ».

Ainsi, non seulement un grand nombre de mobilisations altermondialistes sont tournées vers les DESCE, mais les DESCE leur offrent aussi un objet de convergence. La défense de ces droits permet en effet d’associer une grande diversité d’acteurs, de luttes et de perspectives autour d’actions et d’objectifs communs. Elle fournit ainsi un langage commun et un horizon d’action largement partagé par les acteurs engages dans la construction d’autres mondes possibles, plus justes et plus solidaires. La référence aux DESCE permet ainsi d’articuler les différents niveaux d’action du local au global. Des organisations locales engagées dans la défense de leurs conditions de vie et des réseaux internationaux thématiques peuvent ainsi se retrouver autour d’actions et de stratégies communes en faveur des DESCE. La référence aux DESCE facilite également la construction d’alliances entre organisations très diversifiées : syndicalistes, écologistes, organisations de droits humains, associations de solidarité internationale... Elle fournit enfin des objectifs communs aux organisations du Nord et du Sud et favorise l’élaboration de formes de solidarité internationale plus réciproques. Ainsi, la défense du droit à la santé ou au logement est une préoccupation qu’on retrouve aujourd’hui partout dans le monde, même si elle diffère dans ses formes et son intensité selon les contextes.

L’évolution qui consiste à formuler les revendications économiques, sociales, culturelles et environnementales en référence aux droits humains est fondamentale. Par ses actions, le mouvement altermondialiste concourt en effet à incarner dans des demandes et des propositions concrètes les aspirations de tous les êtres humains à une vie digne. Il contribue également à élargir le champ des droits qui font l’objet d’une prise de conscience et d’une revendication et à mettre en lumière, dans chaque contexte spécifique, les atteintes aux droits et des remèdes possibles. Par leur positionnement et leurs actions, les acteurs altermondialistes font ainsi émerger une conception pragmatique et créative des DESCE, qui introduit une rupture avec les conceptions politiques antérieures.

Le mouvement altermondialiste : une approche pragmatique et créative des DESCE

L’altermondialisme se présente sans théorie unifiée ; au contraire, sont désignées sous ce nom des approches différentes, parfois même contradictoires. Pourtant, un consensus émerge autour de la critique des politiques néolibérales et, de plus en plus, autour de la défense des DESCE. Ce qui se dégage des Forums sociaux est alors une approche très différente des approches traditionnelles, marxiste et libérale. En effet, un point commun à ces deux approches est ce qui pourrait être appelé leur intellectualisme. Elles partent en effet toutes deux d’une définition théorique de la liberté humaine. Pour les libéraux, cette liberté est réalisée par la liberté civile et politique, qui permet à l’individu de développer toutes ses capacités. Pour les marxistes, cette liberté se réalise dans l’organisation socialiste des moyens de production, qui devrait permettre aux individus de ne plus s’aliéner dans le travail et de développer ainsi toutes leurs potentialités. Dans les deux cas, la définition de la liberté part d’un état idéal, qu’il s’agirait d’atteindre dans la pratique. Dans les deux cas aussi, le rigorisme intellectuel de l’approche allait de pair avec un prétendu rigorisme normatif, qui déterminait le champ politique en termes de droits et de devoirs, autant de l’individu que de l’Etat. L’Etat était leur horizon politique, l’Etat et l’individu étant en effet considérés comme les seuls acteurs politiques légitimes et réels. Dans cette perspective, l’action des institutions financières internationales (IFI), ou des multinationales, par exemple, ne pouvait alors trouver de place qu’en tant qu’action des Etats et de leurs individus. Si cette approche cadre bien avec la notion libérale de démocratie comme gouvernement des individus par leurs représentants élus, elle cadre mal avec une réalité politique bien plus multiple, face à laquelle elle a peu d’armes pour agir. En effet, dans une situation où les IFI et les multinationales ont beaucoup plus de pouvoir économique et politique que certains Etats, il devient difficile de considérer que les DESCE ne sont que du ressort de l’Etat ou des citoyens dont il est censé appliquer la volonté. C’est en partie face aux impasses [2] d’une telle approche que le mouvement altermondialiste s’est construit une nouvelle approche par les droits.

Il va de soi que nous simplifions ici les approches marxiste et libérale. Mais cette simplification nous permet de voir à quel point le mouvement altermondialiste est différent. Ses militants ont certes leurs valeurs et leurs croyances, comme tout le monde, et tiennent parfois fortement aux traditions que nous avons décrites plus haut, personnellement et parfois aussi au niveau des organisations. Mais, pour grand nombre d’organisations, le discours théorique sur la liberté humaine a une place moins centrale dans leur activité. Par ailleurs, l’horizon éthique de leur action n’inclut pas la prise du pouvoir d’Etat comme seule source de légitimité. Ces organisations sont essentiellement engagées dans des pratiques concrètes de changement des conditions de vie, pouvant même aller jusqu’à des conflits ouverts, sans attendre la sanction légitimante de la participation au gouvernement. La question est ainsi déplacée par rapport aux affrontements de la guerre froide. Plutôt que de se battre autour d’une définition de la dignité humaine, elle-même dépendante d’une définition de la liberté humaine, nous sommes dans un contexte où la discussion porte sur des actions possibles. Même dans certains cas où leurs approches théoriques sont très différentes, les ONG parviennent néanmoins à tisser des liens et former des alliances autour d’objectifs concrets.

Non seulement les définitions théoriques, mais aussi le droit et l’Etat perdent dans la nouvelle approche une partie de leur sacralité. Auparavant, en effet, les textes de droit et les institutions politiques étaient considérés comme le socle ultime de légitimité de toute action politique. L’Etat était, lui, était censé devenir l’instance légitimante finale de toute action politique, car il était perçu comme l’instance la plus représentative de la volonté, sinon générale, du moins majoritaire. Or, une conséquence inattendue découlant des théories néolibérales des années 80, à partir du moment où les partis traditionnellement antilibéraux ont épousé eux aussi l’idée que l’Etat ne pouvait pas tout, a été de pousser les acteurs politiques sur de nouvelles scènes. L’expression « société civile » était censée indiquer, dans les théories libérales, les acteurs politiques en dehors de l’Etat, mais agissant vis-à-vis de l’Etat. Ce concept est peut-être trompeur pour désigner des mouvements politiques qui sont regroupés sous le nom d’altermondialisme. En effet, bon nombre de ces mouvements ne voient plus l’Etat comme leur interlocuteur final. L’Etat, en tant qu’instance de pouvoir plus ou moins légitime, vu sa « limitation » affichée, devient plutôt une ressource parmi d’autres, même s’il demeure, grâce à son pouvoir réel, une des plus importantes. Prenons l’exemple de la santé : dans une vision libérale ou marxiste, le rapport entre Etat et santé est perçu comme la solution morale à la question de la santé ; dans le cas de nombreuses organisations non gouvernementales, par contre, l’Etat peut devenir un des partenaires, parmi d’autres, qui permettent le développement d’une politique de santé dans une situation précise. La finalité est alors moins de trouver une solution absolument légitime du point de vue théorique à un problème concret, que de lui trouver une solution concrète. Ceci est peut-être plus visible dans les situations où l’Etat, souvent contrôlé par une élite très corrompue, est en effet un acteur social assez mineur, comme c’est le cas dans bon nombre des régions les plus pauvres de la planète. Dans le cas de l’Europe de l’Ouest, et d’autres pays où l’Etat demeure de fait un acteur puissant, la question semble moins évidente. La stratégie des nouveaux acteurs est plutôt d’œuvrer à une défense de certains atouts de l’Etat dans la protection des DESCE, face aux attaques néolibérales, et à l’affirmation de la prééminence des DESCE face aux valeurs néolibérales, qui tendent à mettre le droit des affaires et les intérêts des grandes multinationales au-dessus de toute autre priorité. Cependant, même dans ce cas, la stratégie est moins, comme elle l’était auparavant, de défendre la prééminence de l’Etat-Providence dans des termes idéologiques (libéraux, marxistes, ou leur hybride social-démocrate), que de défendre des institutions et des procédures qui permettent, concrètement, de réaliser des aspirations à une vie digne d’une grande majorité de personnes.

Par rapport à une vision selon laquelle l’Etat aurait donc des devoirs, et les citoyens des droits et des devoirs [3], l’approche altermondialiste, consciente des limites pratiques et conceptuelles de ses prédécesseurs, utilise plus volontiers la notion de responsabilité. Cette notion ne veut pas dire quelque chose de radicalement différent dans le fond. On considère encore que l’Etat, pour autant qu’il a une légitimité politique, est censé assurer le respect des DESCE. Mais en disant qu’en cas de non-respect, les acteurs, même s’ils ne sont pas tout-puissants, sont néanmoins responsables, on ouvre la voie à un approche plus souple. On peut alors déterminer des degrés de responsabilité différents, et des manières différentes d’assumer cette responsabilité. Par ailleurs, la notion de responsabilité, parce qu’elle est plus éthique et moins juridique, même si elle débouche souvent sur des actions juridiques, permet d’assigner des responsabilités à des acteurs qui n’ont pas de « devoirs » dans les conceptions politiques marxiste ou libérale : les IFI et les multinationales. Dans ce contexte, la notion de responsabilité a le double avantage de ne pas perdre de vue que ce qui pose problème est la violation pratique des droits, tout en devenant plus souple dans la recherche de solutions, qui ne passent pas toujours que par l’action de l’Etat, et d’imputations qui, pour être cohérentes, doivent souvent inclure des acteurs qui ne sont ni des Etats ni des citoyens.

Cette perte de sacralité de l’Etat et de l’idéologie est alors aussi l’occasion de reprendre les aspirations là où elles sont réellement, sans leur appliquer des formules toutes faites. En effet, on ne peut plus prétendre que toute aspiration n’existe que par rapport à ce que l’Etat peut en faire, quel que soit le cadre conceptuel dans lequel on se situe. Les aspirations sont alors à prendre dans leur situation, dont l’Etat n’est qu’un des éléments (même si il demeure parfois le plus puissant). Ceci rend l’action autour des DESCE plus difficile. Alors qu’avant on pouvait prétendre définir ce qu’était une aspiration légitime à travers les institutions étatiques et les jeux des représentants politiques traditionnels, ceci n’est plus le cas. En effet, il n’y a pas de définition toute faite de ce qu’est un logement digne, ou même une santé digne (est-ce avoir un accès illimité à des tranquillisants ou des anti-dépresseurs ?). Ce n’est pas parce que le gouvernement des Philippines est issu d’élections où se présentent tous les partis dominants, que sa définition du logement digne est suffisante pour la totalité des Philippins. Cette définition est alors à trouver là où elle existe, dans les aspirations des personnes qui se considèrent mal logées. Ceci ne veut pas dire qu’on ne peut pas trouver des définitions précises, mais celles-ci sont à construire, et souvent à négocier, avec les personnes concernées par les luttes qui les portent. C’est le travail fait par l’association PhilRights, par exemple, lorsqu’elle a procédé à des enquêtes auprès de la population pour définir ce que recouvre pour elle le « droit à un logement décent » au regard de ses besoins et du contexte local [4]. Se battre pour les DESCE est alors aussi explorer et développer les aspirations concrètes dans des situations concrètes (que ces situations soient géographiquement très locales ou très globales, là n’est pas la question). Ce que montrent les expériences des Forums sociaux mondiaux et régionaux, et les luttes qu’ils ont catalysées, est que les définitions des DESCE, à partir des désirs en présence, et orientées vers des buts précis, peuvent donner des résultats importants.

Les DESCE : un cadre de référence essentiel pour faire avancer les luttes et propositions du mouvement altermondialiste

Les DESCE ont un potentiel décisif pour faire avancer les luttes et les propositions des différentes composantes qui se retrouvent dans le mouvement altermondialiste pour défendre la dignité humaine, la justice sociale et la solidarité. Ils se trouvent en effet au cœur de la plupart des grands enjeux actuels et permettent de définir des moyens d’action et un horizon politique commun. Ils permettent en effet de dénoncer les inégalités du niveau local au niveau international, de reformuler des demandes en droits, d’invoquer la responsabilité juridique des acteurs responsables de violations et de créer des solidarités par-delà les frontières. Par leur contenu programmatique et leur formidable impact à la fois éthique, rhétorique, juridique et pratique, les DESCE constituent ainsi un principe et un instrument d’action décisifs pour réguler l’économie, renforcer la justice sociale et renouveler le champ du politique et de la démocratie :

  • Replacer la lutte contre les inégalités et les discriminations au centre de la démocratie
    La réalisation pleine et entière des DESCE est une des composantes de la dignité humaine. Elle ne peut donc être une fonction annexe ou un simple rectificatif des politiques économiques mais doit être, pour les démocraties contemporaines, une préoccupation centrale. Il s’agit ainsi de coupler liberté et égalité, développement et satisfaction des besoins fondamentaux. Au niveau international également, une approche par les droits est nécessaire pour repenser les fondements du système international, apprécier la légitimité et le fonctionnement des institutions internationales et définir leurs responsabilités. Toutes les institutions internationales doivent notamment être soumises aux conventions internationales protégeant les droits humains, y compris les DESCE. Elles doivent activement contribuer à la réduction des inégalités et à la réduction des risques globaux.
  • Contenir les droits économiques
    Les DESCE peuvent être opposés aux droits économiques privilégiés par les politiques néolibérales : droit de propriété, liberté de commerce, libre concurrence, etc. Cette approche permet de souligner la primauté de la dignité humaine et, en termes juridiques, d’opposer des droits à d’autres droits. Ainsi, dans la campagne sur les médicaments génériques, le droit à la santé a pu être opposé au droit de propriété intellectuelle et bénéficier tant d’une adhésion éthique de la part des opinions publiques que d’une reconnaissance juridique de la part des tribunaux.
  • Garantir les services publics
    La réalisation des DESCE passe par la préservation et le renforcement des services publics qui contribuent de façon décisive à la satisfaction des besoins fondamentaux. Les services publics -éducation, santé, eau, énergie, transports, etc.- sont une des conditions fondamentales de l’accès aux services collectifs de base. Ils sont une des composantes d’un développement écologiquement soutenable et socialement équitable. Une politique volontariste de services publics permet de dépasser les différences entre régions, zones urbaines et rurales et catégories de population pour garantir l’égalité d’accès aux services de base. Les services publics sont également à la base du développement du marché intérieur, en encourageant des formes de consommation collective, en alimentant les dépenses d’infrastructures publiques et en contribuant à la redistribution des richesses.
  • Orienter et évaluer les politiques publiques
    Les DESCE peuvent servir de principes d’orientation et de critères dans l’élaboration et l’évaluation des politiques publiques. L’objectif premier de ces politiques devrait être de garantir les droits humains, de satisfaire les besoins fondamentaux et de tendre vers l’égalité et la non-discrimination. Les DESCE constituent donc une bonne base pour définir le contenu et les priorités des politiques publiques et évaluer leurs résultats. Cette approche peut être mise en œuvre au niveau national mais aussi au niveau international pour la définition et l’évaluation des actions des institutions financières et de développement internationales. Il existe par exemple un programme de surveillance et d’évaluation des « Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté » (qui remplacent les Plans d’ajustement structurel) prenant les DESCE pour critères.
  • Encourager la mobilisation et la participation citoyenne
    Dans une approche DESCE, les individus ne sont plus simplement redevables à l’Etat des protections et bénéfices sociaux qu’il leur accorde. Ils jouent un rôle clé pour définir leurs droits, les exiger et les faire reconnaître. Ils sont également amenés à participer à la conception et à l’évaluation des politiques publiques mais aussi des budgets publics (selon le modèle des "budgets participatifs").
  • Engager la responsabilité de certains acteurs responsables de violations
    La référence aux DESCE permet d’engager la responsabilité des Etats, des institutions internationales ou des entreprises en cas de violations de droits humains. Ils fournissent un moyen rhétorique puissant et, dans certains cas, un instrument juridique pour dénoncer les violations et exiger réparation des dommages subis. TotalFinaElf fait ainsi l’objet d’un recours en Belgique et en France pour crimes contre l’humanité et travail forcé pour ses activités en Birmanie ainsi que d’une mise en examen en France pour pollution maritime et mise en danger de la vie d’autrui suite au naufrage du pétrolier Erika.
  • Refonder la coopération internationale
    Les DESCE permettent de refonder les relations économiques et financières internationales sur les principes de coresponsabilité et de solidarité entre le Nord et le Sud. Deux propositions vont déjà dans ce sens. La notion de "biens publics mondiaux" souligne l’existence de richesses qui bénéficient à tous mais dont la protection relève également de la responsabilité de tous. Il apparaît alors intéressant d’examiner les possibilités de fiscalité mondiale pour financer la conservation de ces biens et la redistribution des richesses au niveau international. Une deuxième proposition concerne la dette et les relations financières internationales. Un examen approfondi de la dette conduit à identifier la coresponsabilité des créanciers et des débiteurs et l’existence de dettes sociales et environnementales, invitant à reconsidérer tout le système actuel de créances et de flux financiers.

En conclusion...

Le mouvement altermondialiste a donc puissamment contribué à raviver et renouveler la lutte en faveur des droits économiques, sociaux, culturels, environnementaux, sexuels et reproductifs... Soulignons pour conclure que les difficultés restent néanmoins considérables en matière de protection et de promotion des DESCE. D’abord, car les atteintes aux DESCE constituent encore une réalité quotidienne très répandue. Ces violations sont parfois le fait d’acteurs facilement identifiables : telle multinationale qui déverse des déchets, tel gouvernement qui coupe le budget de l’éducation, telle loi discriminant l’accès de certains groupes à des emplois (« femmes », « immigrés », groupes « nationaux », « linguistiques », « religieux », et autres distinctions entre personnes), etc. Mais dans certains cas, les acteurs peuvent demeurer plus flous, ou du moins multiples. Ainsi, les politiques de prêts aux petits agriculteurs par la Banque Mondiale ont pendant longtemps favorisé des discriminations de genre, du fait que les prêts étaient attribués aux titulaires de la terre, qui étaient le plus souvent des hommes. Cette discrimination se traduisait par un renforcement d’une situation où la femme était exploitée de manière systématique dans ses conditions de travail ainsi que, entre autres, dans son accès au loisir, à l’éducation et à la santé. Qui est dans ces cas l’acteur responsable des violations : la Banque Mondiale, le mari, les femmes qui soutenaient cette division des tâches, l’Etat dont la législation ou son application sont déficientes ? Comment s’attaquer à cette situation ?

A l’intérieur du mouvement altermondialiste, un frein à la promotion des DESCE réside dans les divergences de priorités et de stratégies qui continuent à opposer certaines de ses composantes. Elles séparent par exemple les organisations qui choisissent d’agir pour faire évoluer le droit international et celles qui se consacrent à des luttes localisées ; ou encore, des syndicats et des organisations écologistes dans le débat sur la primauté du droit du travail sur les autres DESCE ainsi que sur la conception -productiviste ou durable- de l’économie. Certaines composantes du mouvement altermondialiste sont même plutôt hostiles aux DESCE, considérant qu’il s’agit d’un habillage rhétorique pour des demandes qui sont de toute façon irréalistes ou que les droits civils et politiques restent prioritaires, en raison du renforcement des politiques militaires et sécuritaires depuis les attentats du 11 septembre 2001. Une autre difficulté pour le mouvement altermondialiste tient à la contradiction possible entre droits. La revendication d’un droit peut en effet se retourner contre les objectifs de la lutte ou nuire à d’autres luttes. Ainsi, les mouvements de sans-logis et sans-papier se sont référés pendant un temps au droit d’occupation qu’ils faisaient prévaloir sur le droit de propriété. Pourtant, c’est bien le droit de propriété qui est mis à mal lorsque des entreprises multinationales s’approprient des terres ou des ressources naturelles aux dépens des communautés locales.

Prendre conscience de ces difficultés ne doit cependant pas nous conduire à renoncer à défendre les DESC ou à faire référence aux droits pour faire avancer nos luttes. Cela doit nous aider au contraire à rechercher un positionnement et des moyens d’action, à la fois justes et efficaces. L’important est bien d’ancrer la revendication des DESCE dans des situations spécifiques afin d’élaborer une pratique qui donne une réalité concrète à des aspirations à une vie digne, qui se cherchent, qui se trouvent et qui s’affirment.


Référence complémentaire :

Centre for Economic and Social Rights (CESR), Economic, Social and Cultural Rights : A Guide to the Legal Framework, janvier 2000, 24p, disponible à l’adresse http://www.cesr.org

[1] Nous choisissons de parler de façon élargie de « droits économiques, sociaux, culturels, environnementaux... » (DESCE). Partant de la fondamentale indivisibilité des droits humains, nous nous intéressons en effet ici aux droits autres que les droits civils et politiques, parce que ces derniers ont trop souvent été érigés en uniques droits de l’homme. Cependant, en rappelant la place tout aussi essentielle d’autres aspirations humaines qui constituent autant de droits fondamentaux, nous ne voudrions pas répéter une nouvelle division entre droits qui seraient de première, deuxième, troisième, ou nième génération. Parler des DESC tout court aurait alors pu faire oublier que, dans les revendications qui prennent forme aujourd’hui, il est souvent question de droits environnementaux, sexuels, reproductifs, des enfants, etc. Le E, pour ajouter « environnementaux » à DESC, vient rappeler l’indivisibilité des droits humains, et le refus de figer des divisions entre droits.

[2] Les impasses peuvent sembler intellectuelles. Elles sont dans la plupart des cas plutôt dues à la mauvaise foi qui se cache derrière les conceptualisations. Mais comprendre les impasses conceptuelles est aussi un des moyens de lutter contre la force rhétorique dont s’arme cette mauvaise foi.

[3] Approche dans laquelle, comme nous le voyons en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, en Israël, en Arabie Saoudite, et un peu partout dans le monde, les non-citoyens ont difficilement des droits comparables à ceux des citoyens et deviennent des êtres humains de deuxième catégorie.

[4] Selon une enquête réalisée auprès d’un échantillon représentatif, « aux Philippines, un logement décent ce sera, pour une famille de quatre à six personnes, 50m2, une porte d’entrée, une fenêtre, une salle de bain, le tout à proximité d’une école ». Cette définition inclut des critères relatifs, puisqu’elle se fonde sur les aspirations des personnes concernées et sur les ressources disponibles localement ; elle contribue néanmoins à définir si, dans chaque cas, le droit au logement est réalisé. Source : Pierre Jobert, « Droits économiques, sociaux et culturels : ne pas rater le bus ! », in Peuples en marche, n°184, mars 2003, disponible sur rinoceros.

document de référence rédigé le : 1er mai 2005

date de mise en ligne : 15 juin 2005

© rinoceros - Ritimo en partenariat avec la Fph via le projet dph et la région Ile de France via le projet Picri. Site réalisé avec SPIP, hébergé par Globenet. Mentions légales - Contact

ritimo