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NARAIN Sunita

Tsunami en Inde : on sait appliquer des pansements d’urgence

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> Notre Terre, 31 janvier 2005

Cet article dénonce à la fois la difficulté à prévenir les catastrophes, la mauvaise gestion et l’irresponsabilité des institutions scientifiques indiennes et des services administratifs et l’absence d’une véritable politique de gestion des côtés.

Il y a quatre ans, Anil Agarwal, fondateur du Centre pour la science et l’environnement, notre ancien collègue et ami, faisait paraître dans Down To Earth un article sévère sur les opérations de reconstruction après le tremblement de terre qui avait frappé le Gujarat dans la région de Bhuj, faisant 10 000 morts.

« Les catastrophes vont et viennent, tandis que l’Administration de ce pays est devenu un désastre permanent ». Face aux catastrophes naturelles (cyclone, tremblement de terre, inondation, tsunami) qui durent un temps, on peut dans une certaine mesure se prévenir. Mais les dégâts sont énormément amplifiés par l’incurie perpétuelle de l’appareil d’Etat (gouvernants et administration).

Expliquons les choses : c’est l’effondrement des constructions qui fait des victimes, pas le tremblement de terre en soi. Anil posait la question : dans les régions à forte probabilité sismique, pourquoi ne construisons-nous pas des bâtiments capables de mieux résister aux séismes, comme c’était autrefois le cas pour les maisons traditionnelles ? « Aujourd’hui, dans notre Inde moderne, fière, grandiloquente, apparemment compétente, on n’est pas capables de retenir les leçons du passé ».

Face à la nouvelle tragédie d’aujourd’hui, il est bon de se remémorer ces réflexions. Tôt ou tard, il y aura une autre catastrophe naturelle. Et les mesures préventives que nous prendrions maintenant permettraient d’éviter bien des peines et des souffrances quand cela se produira. Si on ne fait rien aujourd’hui, on sera gravement, sciemment, coupables de négligence. Après le grand cyclone qui s’est abattu sur les côtes de l’Orissa en 1999, faisant 20 000 morts, après le tremblement de terre du Gujarat en 2001 et maintenant le tsunami - trois grosses catastrophes en cinq ans -, il serait criminel de ne rien faire.

Premier point : la gestion des catastrophes exige d’abord une bonne connaissance scientifique du phénomène en cause et une juste analyse de nos vulnérabilités. Après chaque désastre, les spécialistes parlent toujours d’abondance d’un nouveau truc qui ferait l’affaire, sans qu’on leur demande des comptes sur les investissements qui ont déjà été réalisés. On connaît déjà beaucoup de choses sur les tremblements de terre, et l’océanographie propose depuis bon nombre d’années un corpus de connaissances bien établi. Tant que nous n’aurons pas des institutions scientifiques solides, bien gérées, et dont la responsabilité est engagée, il ne sera pas possible de compter sur un système de veille et de prévention efficace.

Deuxième point : il ne suffit pas de bien comprendre un phénomène naturel pour sauver des vies. Les connaissances scientifiques peuvent aider à identifier la menace et nos points faibles. Il reste encore à élaborer dans le détail les plans d’urgence, à passer aux choses concrètes. Comme le disait Anil, c’est l’effondrement des constructions qui tue, et pas le tremblement de terre seul. Dans les zones connues pour leur forte activité sismique, la moindre des choses serait de construire en conséquence. Or on s’en fiche complètement ! Même après la catastrophe de Bhuj, les entreprises continuent allègrement à ignorer les normes prévues dans ces cas. Point n’est besoin d’en savoir plus sur le plan scientifique. Encore faudrait-il que les services administratifs « compétents » veillent à la bonne application de la réglementation.

Hélas, c’est bien trop demander à notre bureaucratie obtuse. Après coup seulement elle parle de sécurité. La sécurité, disent ces gens, est un luxe que le pays ne peut s’offrir. Quand la catastrophe se produit, nous bombons le torse et passons un moment à la vitesse supérieure. Il est alors sérieusement question de plans de gestion de crise.

Kapil Sibal, notre ministre de la science et de la technologie, va peut-être devenir aujourd’hui le nouveau héros des vieux chnoques qui sévissent dans ses services spécialisés, et cela pour le prix de quelque nouvel équipement. Qu’il n’oublie pas qu’un système d’alerte doit fonctionner le plus vite possible. Les personnes chargées de cette mission doivent être très réactives pour faire remonter l’information aux décideurs et la diffuser au plus vite parmi les populations concernées. Or la bureaucratie quasi fossilisée de notre pays avance à la vitesse du corbillard.

Troisièmement : pour qu’un système d’alerte anti-tsunami permette de sauver des vies à l’avenir, il est indispensable que les autorités prennent plus au sérieux la gestion de l’espace côtier. Le littoral est très convoité, par des industriels en tout genre, par le secteur touristique, etc. C’est une zone fragile et souvent malmenée au nom du développement. Ces nouvelles activités vont souvent fragiliser encore plus cet espace. Et le prochain cyclone, ou le prochain tsunami, sera encore plus dévastateur. A quoi auront servi les nouveaux équipements que Monsieur le ministre aura mis à la disposition de ses services ?

Quatrième point : la gestion de crise met en œuvre l’aide d’urgence et les programmes de reconstruction. Et c’est peut-être là que l’Etat et le peuple indiens montrent leur bon côté. Malgré les difficultés de la situation, malgré la tragédie, nous réagissons à l’urgence. Mais pour ce qui est d’œuvrer concrètement à la protection des personnes et des biens à l’avenir, nous échouons complètement, nous sommes nuls. Disons qu’au mieux on sait comment appliquer des pansements d’urgence.

Anil estimait que, pour pouvoir mieux gérer les catastrophes à venir, il fallait d’abord prendre conscience de l’état d’impotence auquel ont été réduites les institutions scientifiques chargées de faire passer les avancées de la science dans la vie quotidienne de ce pays. Dans le système actuel, on ne s’intéresse vraiment qu’aux domaines « prestigieux », la recherche militaire notamment. Et il ajoutait que l’information scientifique est largement absente de nos processus décisionnels parce que nos scientifiques « haut de gamme » ne s’intéressent guère aux menues choses.

Disons, pour conclure, que cette catastrophe naturelle est bien révélatrice d’un désastre latent. Il serait temps que les premiers ministres de l’Union indienne s’abstiennent enfin d’adresser leurs félicitations annuelles à cet événement vraiment dépassé qu’on appelle « Congrès scientifique indien ». Il s’est tenu ce mois-ci, et une fois de plus nous avons pu observer combien c’est devenu un rituel obsolète, combien ces scientifiques sont coupés des réalités ordinaires. Il serait temps de prendre un nouveau départ. Il y a quatre ans, Anil Agarwal lançait un vibrant appel pour qu’on prenne au sérieux l’information scientifique et les compétences techniques, qu’on mette tout cela au service de la population. Il y a trois ans, Anil, notre ami et ancien collègue, décédait. Les mentalités et les pratiques ont bien peu bougé depuis. Alors je termine en citant une de ses phrases : « Si nous ne changeons pas nos façons de gérer les choses, nous continuerons à verser des larmes de crocodile après chaque nouveau désastre ».

document de référence rédigé le : 31 janvier 2005

date de mise en ligne : 12 avril 2006

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