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GOSH P., JAYAN T.V.

La grippe aviaire

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> Notre Terre n°17, janvier 2006

Les fusils sont prêts, les armoires à pharmacie sont pleines, la sécurité aux frontières est renforcée. Les préparatifs semblent préfigurer une catastrophe mondiale, une véritable pandémie car la grippe aviaire gagne de nouveaux pays. Les organisations internationales qui s’occupent de santé animale et humaine nous bombardent de rapports et de communiqués de presse et sonnent l’alarme.

Bientôt il n’y aura plus assez de zéros pour allonger les chiffres des morts et des pertes économiques qu’on laisse entrevoir. La planète en est toute ébouriffée et élabore des budgets astronomiques en prévision de cette calamité. On se bat pour stocker médicaments et vaccins. Le président des Etats-Unis a annoncé un plan de 7,1 milliards de dollars, avec même au besoin appel aux forces armées. Le scénario d’une catastrophe mondiale repose sur l’hypothèse d’une mutation possible du virus ouvrant la voie à une transmission inter-humaine. Jusqu’à présent, on a relevé uniquement des cas de transmission de volaille à l’homme. On ne connaît pas un seul cas de transmission inter-humaine du virus de la grippe aviaire.

La grippe aviaire, qui a entraîné la mort de 69 personnes depuis décembre 2003, est considérée comme une grande tueuse. Mais pour qu’il y ait pandémie, il faudrait une mutation du virus et qu’il se propage d’homme à homme. L’Organisation mondiale de la santé a d’abord estimé que la grippe aviaire pourrait peut-être toucher jusqu’à 150 millions de personnes, avant de proposer le chiffre de 7,4 millions. Et la Banque mondiale a parlé de 800 milliards de dollars de pertes possibles sur le plan mondial, plus une facture de 1 milliard pour la lutte contre la pandémie. A côté de ces chiffres énormes, le nombre de décès attribués à l’épidémie en cours paraît pour l’heure bien limitée.

Le virus en cause est le H5N1. C’est le seul virus de la grippe aviaire à avoir entraîné mort d’homme depuis 1980. Les scientifiques disent que, du fait de la grande labilité génétique des virus de la grippe, il est bien difficile de prévoir quelle souche va s’attaquer à l’homme. Entre 1980 et 1997, on a observé quatre épisodes de grippe aviaire hautement pathogène pour la volaille. Le premier est apparu non pas en Asie mais aux Etats-Unis en 1983, avec le virus H5N3. Aucun cas de passage à l’homme n’avait été répertorié. M. Peter Palese, microbiologiste à l’école de médecine de Mount Sinai, à New-York, affirme que dans le cas présent nous avons affaire à une fausse alerte. L’analyse de prélèvements sanguins effectués en 1992 dans les campagnes chinoises font apparaître que des millions de personnes avaient développé des anticorps contre le virus H5N1. Elles ont vraisemblablement vaincu le mal sans qu’il y ait eu apparition de troubles pathologiques. D’ailleurs, la souche H5N1 a circulé en Chine pendant pratiquement dix ans sans qu’on ait rapporté un seul cas de transmission inter-humaine.

La faute aux oiseaux migrateurs ?

Pendant presque deux ans, entre 2003 et 2005, la grippe aviaire était confinée essentiellement en Chine et au Sud-Est asiatique. Plusieurs flambées concernant les poulets, les canards et les oies domestiques ont été observées au Cambodge, en Indonésie, en Thaïlande, au Vietnam notamment. On a procédé à l’abattage de plus de 140 millions de volailles. En mai 2005, environ 6 000 oiseaux sont morts près du lac Qinghai au nord-ouest de la Chine et le virus s’est propagé jusqu’en Mongolie, en Russie, en Croatie, en Roumanie, au Kazakhstan. Cela a déclenché une alerte mondiale, mais on n’est toujours pas d’accord sur les raisons de cette propagation. On évoque les flux commerciaux de la filière volaille, le trafic illicite d’espèces sauvages.

Les oiseaux migrateurs sont présentés comme les principaux vecteurs du mal. Ils suivent deux trajectoires pour aller de l’Asie du Sud et du Sud-Est à la Sibérie occidentale et l’Europe de l’Est. Les associations internationales de protection de la faune (Wetlands International, Birdlife International...) sont abasourdies face à ces accusations. La migration de printemps a lieu d’avril à mai alors que le premier signe de propagation en dehors de la Chine est apparu en juillet. « Les modes migratoires des vecteurs supposés ne correspondent pas aux dates des flambées », note Gopi Sundar, chercheur à la International Crane Foundation (protection des grues) à Delhi. « En Croatie, en Roumanie, les foyers se sont éteints d’eux-mêmes parce que les migrateurs infectés ont rapidement crevé, sans avoir diffusé la maladie. » L’Office international des épizooties (OIE) basé à Paris réfute aussi les accusations massives portées contre les oiseaux migrateurs. D’après les observations effectuées dans les foyers décelés en Russie, la souche concernée n’est pas la même que celle du lac Qinghai en Chine, ce qui invalide la théorie d’un transport continu par des oiseaux sauvages. « Jusqu’à présent, il n’existe pas de preuve d’un passage du virus d’oiseaux migrateurs à la volaille. Ce serait plutôt le contraire. » Selon le rapport de l’OIE également, les migrateurs ont contracté le virus auprès d’oiseaux aquatiques sur les lacs situés à proximité d’élevages déjà contaminés. Si le virus H5N1 se comportait comme une souche faiblement pathogène sur les canards sauvages, il a pu persister de manière endémique mais discrète dans la population nicheuse. La concentration locale d’oiseaux au mois de juillet lors de la mue annuelle et la présence de juvéniles ont peut-être amplifié et répandu le virus.

Quoi qu’il en soit, la peur d’une épidémie de grippe aviaire a poussé de nombreux pays à adopter des mesures de contrôle sur les importations de volaille. Le manque à gagner est évident aux Etats-Unis qui sont le plus gros exportateur de chair de volaille (2,47 millions de tonnes en 2004). Cela gêne aussi la Russie qui est le premier importateur mondial. Certains commentateurs, critiques vis à vis de la thèse d’une contamination pour des oiseaux migrateurs, affirment qu’on se sert de cette menace afin de détourner l’attention de problèmes immédiats dans la filière volaille, relatifs à des pratiques soit légales soit illicites.

La myopie du gouvernement et de la filière volaille

L’Inde, pourtant située sur deux grandes voies de migrations, apparaît comme une zone épargnée sur la carte mondiale de l’épidémie de grippe aviaire. « Pas un seul cas de contamination par virus hautement pathogène n’a été décelé », proclame M. Bandyopadhyay, commissaire à la Direction de l’élevage et de l’industrie laitière au ministère central de l’agriculture. D’octobre à mars, entre 5 et 20 millions d’oiseaux migrateurs fréquentent les zones humides de l’Inde. Le mois dernier, plusieurs oiseaux arrivés dans la réserve de Kulik au Bengale occidental sont morts. Officiellement ils étaient 40, mais le chiffre d’un millier a également circulé. Selon le haut fonctionnaire déjà cité, aucun des spécimens envoyés au laboratoire vétérinaire de Bhopal n’était porteur du virus H5N1. Depuis 2003, ce virus a été trouvé sur onze espèces seulement (oie à tête barrée, faucon kobez...). Tous passent par l’Inde et beaucoup aussi par le lac Qinghai en Chine où il y a eu une flambée de H5N1 en mai 2005.

A mort ! les poulaillers familiaux

Tirant avantage de ce que le virus est pour le moment présent essentiellement en Asie, le Comité des exportateurs de volailles et oeufs (USAPEEC) des Etats-Unis a réclamé récemment la fermeture totale des élevages familiaux dans les pays asiatiques. Or ces basses-cours traditionnelles aident à vivre des millions de gens qui sont parmi les plus pauvres de ce continent. En Inde, cela représente 30 % de la production nationale et fait vivre 3 millions de personnes. Mais c’est le secteur des élevages industriels qui donne le ton de la politique officielle, de manière à la fois catégorique et changeante. Après l’épidémie de 2003, le gouvernement central décide d’interdire l’importation d’oeufs d’incubation, de poussins et de vaccins. De nombreux observateurs ont fait remarquer que cette mesure, supprimée six mois plus tard, arrangeait bien les affaires d’un groupe d’opérateurs industriels, au détriment de milliers de petits producteurs.

Le poids dominant de quelques grosses entreprises

Le secteur volailler en Inde est très compartimenté. Il connaît une croissance annuelle de 15 %. A côté de gros opérateurs qui possèdent des installations très modernes (couvoirs et poulaillers), il y a une multitude de petits producteurs traditionnels. Avec 60 % du marché, les couvoirs de Venkateshwara à Pune, Etat du Maharashtra, occupent une position dominante. Le segment dit organisé a fonctionné séparément des fermes d’élevage de l’intérieur jusqu’à ce que le Groupe Sugana de Coimbatore, Etat du Tamil Nadu, introduise à la fin des années 1980 une politique d’intégration : la société fournit à l’agriculteur les poussins, l’aliment, les produits vétérinaires et il reprend la volaille deux mois plus tard. Les craintes suscitées par l’épidémie de grippe aviaire en 2003 ont provoqué une chute de la consommation et les producteurs ont été parfois forcés de brader leurs lots. Puis les prix ont remonté et les gros opérateurs qui avaient conservé des stocks ont ramassé la mise.

Autre problème : le secret qui entoure la situation sanitaire dans la filière. Récemment des cas de grippe aviaire faiblement pathogène limités à la volaille ont été recensés. Les scientifiques et les hauts responsables de la Direction de l’élevage et de l’industrie laitière ont bien confirmé la présence du virus, ce que la profession a vivement nié, notamment le président des grands couvoirs de Pune. Les gros éleveurs indiens produisent souvent des autovaccins (préparés artisanalement en purifiant le sang de volaille infectée) et le vendent aux petits éleveurs. « Ces produits présentent un danger parce qu’ils peuvent propager d’autres maladies d’une ferme à l’autre. D’autant plus qu’il n’existe dans ce domaine aucun contrôle », dixit M. S. Ahmad Khan, vice président de la Fédération de l’aviculture.

Surveillance des zones humides

L’Inde doit être vigilante car son secteur avicole est à la cinquième place mondiale. Sous l’effet des craintes engendrées par la grippe aviaire, le ministère de l’agriculture et le ministère de l’environnement et des forêts du gouvernement central ont élaboré un plan d’action en août 2005. Ils préconisent essentiellement une surveillance des oiseaux migrateurs pour protéger les zones humides et les élevages, en lien avec l’Institut indien de la faune sauvage de Dehradun et diverses Ong, la Société d’Histoire naturelle de Bombay notamment. Les Ong ont identifié 173 sites de concentration d’oiseaux migrateurs. Des groupes seront constitués pour collecter des échantillons et les oiseaux seront suivis par diverses méthodes : baguage, marquage couleur, satellite. Le secrétaire de la Direction de l’élevage du Kérala, Subrata Biswas, dit que ses services reçoivent une centaine de prélèvements sanguins d’oiseaux aquatiques chaque mois, ajoutant cependant que les résultats des échantillons aléatoires mettent deux à trois semaines à leur parvenir. En Australie, les délais sont de quatre heures seulement. Chez nous, avec une telle lenteur, la manoeuvre n’a plus de sens.

Dans les Etats où il y a beaucoup de poulaillers familiaux (Bengale occidental, Kérala surtout), les hameaux sont souvent situés près d’une zone humide. Il faut donc veiller à ce que la volaille et les oiseaux migrateurs ne soient pas en contact. L’Administration surveillera seulement les zones officiellement protégées dans le cadre de la Loi de protection de la vie sauvage, où il n’y a guère de volaille domestique. Il serait pourtant indispensable de surveiller aussi les zones humides moins connues où les oiseaux sauvages peuvent se mêler librement aux poules, aux canards. Malheureusement très peu d’échantillons sont prélevés dans les basses-cours familiales.

L’Administration semble sous-estimer largement le nombre et la superficie des zones humides : 4 millions d’hectares pour le ministère de l’environnement et des forêts, 7 millions pour le Centre d’ornithologie et d’histoire naturelle (SACON) de Coimbatore, Etat du Tamil Nadu. Au Kérala, il y a seulement une douzaine de zones humides officiellement répertoriées, alors que ce même organisme spécialisé en a recensé 64. En Inde, le système d’observation n‘est pas du tout à la hauteur de la situation. « Le comptage des oiseaux est effectué par un réseau de bénévoles, et ça ne suffit pas. Au Jammu et Kashmir, où il ne manque pas de zones humides, rien n’est en place pour un suivi de ces milieux. Les plans d’action ont du mal à se concrétiser sur le terrain. La prise de conscience des problèmes se diffuse difficilement jusqu’aux plus bas échelons », déclare un responsable de la Fondation pour la protection de la faune sauvage (Wildlife Trust of India).

En guise de conclusion

Depuis la grippe espagnole de 1918, qui a fait des millions de morts et à laquelle on se réfère sans cesse, d’énormes progrès ont été réalisés en matière de connaissances scientifiques, de services de santé, d’information du public et de coopération internationale. Aujourd’hui, en cas de mutation du virus vers une forme bien plus pathogène, nous sommes quand même mieux équipés pour faire de la résistance. On fait le rapprochement entre la situation d’aujourd’hui et la pandémie de 1918 en laissant de côté deux autres épidémies de grippe aviaire : celle de 1957-1958 aux Etats-Unis et celle de 1968-1969 à Hong-Kong. En tout 0,002 % du nombre de décès provoqués par celle de 1918.

L’élevage de la volaille occupe une place extrêmement importante dans ce pays. Il serait temps que nos responsables politiques s’abstiennent de prendre partie dans les jeux d’intérêts des poids lourds de ce secteur. Les petites basses-cours traditionnelles vont souffrir bien plus que les gros élevages. Ceux-ci sont infiniment moins nombreux mais ils occupent le terrain, représentant à eux seuls la filière, et leur influence sur la vie politique est considérable. Le gouvernement devrait prendre des mesures judicieuses afin d’éviter que la crise actuelle ne frappe trop durement les petits producteurs, qui l’an dernier ont déjà subi les conséquences des restrictions à l’importation tandis que les grosses entreprises se remplissaient les poches. Et il ne faudrait pas que les mesures officielles de surveillance des élevages industriels ou familiaux et des oiseaux migrateurs ne soient finalement que du bidon. Dans la situation actuelle, la filière volaille et la population ont peut-être plus à craindre de l’apathie de l’Administration que du virus H5N1.

date de mise en ligne : 12 avril 2006

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