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NARAIN Sunita

Kyoto : à quel jeu on joue ?

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> Notre Terre n°17, janvier 2006

En ajoutant son nom au bas d’un nouvel accord (juillet 2005) sur la réduction des gaz à effet de serre, l’Inde s’est-elle laissé tripoter par les mains pas très propres des Etats-Unis ? Dans le nouveau « Partenariat Asie-Pacifique pour un développement propre et la lutte contre le changement climatique », on trouve l’Inde, la Chine, la Corée du Sud, le Japon (qui ont tous signé le Protocole de Kyoto) et aussi les Etats-Unis et l’Australie (qui l’ont rejeté). Cet accord qualifié de local permettrait, nous dit-on, de « faire des choses ensemble » pour éviter le pire en matière de catastrophe climatique.

A première vue, tout cela paraît bien gentil, mais... Les Etats-Unis et l’Australie ont refusé d’adhérer au Protocole de Kyoto parce qu’il prévoyait pour eux et les autres pays développés des objectifs contraignants pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, parce que cette mesure ne s’impose pas à la Chine, l’Inde ou la Corée du Sud. On était d’accord là-dessus : pour assurer leur développement légitime, les pays émergents ont besoin d’espace économique et écologique. Les Etats-Unis et l’Australie, qui ont fait bande à part, cherchent maintenant à conclure des arrangements bilatéraux qu’ils présentent comme bien plus efficaces que le Protocole de Kyoto. Dans leur façon de concevoir la coopération internationale, ils ne se départissent jamais du sens des affaires, de l’égoïsme bien compris.

Cette attitude n’est pas nouvelle. En matière de négociations, les Etats-Unis ont de la pratique. Pour commencer, ils mènent de l’intérieur un travail de sape à l’encontre du projet de convention en cherchant à édulcorer toutes ses clauses essentielles. A l’étape suivante, une fois que le texte est bourré de points faibles (ce qui est voulu par les négociateurs) et émasculé (par qui vous savez), la délégation américaine claque la porte. Dans un troisième temps, on procède à l’enterrement du processus multilatéral en proposant de nouveaux arrangements fondés non plus sur des principes universels de justice et d’équité mais sur des intérêts mutuels bien compris.

Ce Partenariat Asie-Pacifique, annoncé cet été, apparaît donc comme un alter-Kyoto. Il ne va pas demander au plus gros pollueur de la planète, à savoir les Etats-Unis, de se discipliner et de faire ce qu’il convient pour freiner le changement climatique. Au contraire, les Etats-Unis auront les mains libres, pour agir à leur convenance sur certains points et collaborer avec les deux pollueurs émergents (la Chine et l’Inde) afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre chez... ces deux-là. Avec ce partenariat, on est parvenu à l’impossible puisqu’on y trouve ensemble 50 % de la pollution planétaire et les deux pays trop bien traités par le Protocole de Kyoto aux yeux de M. Bush junior, qui pour cette raison rejeta en bloc le processus d’action mondiale en cours.

Il faut expliciter le non-dit. Qui trouve-t-on dans cet arrangement climatique ? Deux grands pays émergents qui revendiquent leur droit au développement et semblaient vouloir exiger que les principaux pollueurs fassent d’abord le ménage chez eux, et à côté le plus gros lueur mondial qu’on laisse libre de toute contrainte. Comment l’Inde est-elle entrée dans ce jeu ? Elle sait bien qu’elle est vulnérable : la majorité de sa population vit à la limite de l’indigence et toute variation climatique, tout événement extrême peut faire basculer cette multitude dans des conditions de vie insoutenables. Les grosses pluies de mousson qui, au mois d’août dernier, sont tombées sur Mumbai (Bombay) ont provoqué de graves inondations, avec des centaines de morts et d’énormes dégâts matériels. Peut-on dire que c’est une conséquence du changement climatique ? C’était en tout cas des conditions climatiques extrêmes. Pour l’Inde, sans doute plus que pour les Etats-Unis, une convention solide sur le climat n’est pas un luxe.

Mais pourquoi nos responsables politiques ont-ils accepté d’entrer dans ce Partenariat Asie-Pacifique avec les Etats-Unis ? Le Ministre de l’environnement et des forêts du gouvernement central, courtisé sans vergogne par les Américains depuis maintenant quatre ans, dira (le naïf ? !) que cet arrangement facilitera en fait l’ensemble des négociations sur le climat. Faire un bout de chemin avec les Etats-Unis, cela offrira des possibilités financières et technologiques nouvelles pour lutter contre le changement climatique (c’est toujours ce ministère qui parle). Cela permettrait d’espérer des investissements étrangers directs pour améliorer l’efficacité énergétique et le passage à l’ère de l’hydrogène. Il faut entrer dans le grand jeu, vous dira-t-on au ministère.

Qui veut-on tromper ? Parlons clairement car ce partenariat est dangereux. On ne peut pas dire que le processus international pour la lutte contre le changement climatique marche vraiment. Le Protocole de Kyoto avait été prévu pour freiner la courbe ascendante des émissions de gaz à effet de serre dans les pays industrialisés et pour aider les pays en développement à améliorer l’efficacité énergétique de leurs infrastructures par le biais de l’aide financière et du transfert de technologie (mécanismes pour un développement propre...). On n’a pas vu grand chose de tout cela. La plupart des pays développés ont bien du mal à réduire, ne fût-ce qu’un peu, les émissions de gaz à effet de serre, malgré leurs engagements formels. Et les mécanismes pour un développement propre sont devenus un montage fort compliqué. Par ce biais, il arrive sans doute un tout petit peu d’argent pour améliorer les performances énergétiques locales, au prix d’une énorme paperasse pour obtenir le feu vert et être en règle lors des contrôles. Ce grand projet mondial a été délibérément vidé de sa substance par ses propres promoteurs, les multilatéralistes, l’Union européenne et les autres.

Que peut faire un pays comme l’Inde ? Bien évidemment nous avons besoin d’une convention sur le climat, et il faut que les pays industrialisés prennent des mesures vraiment efficaces pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Nous avons besoin de financements et de nouvelles technologies pour procéder à des bonds en avant qualitatifs afin de sortir des servitudes de l’énergie fossile qui plombent la vie économie. Ce n’est pas en sabordant un processus multilatéral que nous parviendrons à ces objectifs. Nous ne parviendrons pas à ces objectifs en copinant avec les Etats-Unis dans un partenariat sans issue.

L’Inde doit donc faire preuve de plus de dynamisme dans les négociations climatiques. Elle doit insister pour que le prochain cycle de négociation sur le Protocole de Kyoto mette clairement dans le coup ces deux grands pollueurs et renégats : les Etats-Unis et l’Australie. L’Inde doit bien s’expliquer : l’engagement sur des objectifs ne pénalisera pas la croissance économique, elle aussi est disposée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre car c’est tout à fait dans son intérêt. Mais elle ne peut le faire que si tout le monde a le droit à une part égale de l’atmosphère terrestre. Grâce au partage équitable des biens communs mondiaux, les pays qui n’utilisent pas entièrement leur quota d’émissions pourront réinventer leur trajectoire énergétique, en investissant dans le développement propre. Cela permettrait de dégager des fonds pour les échanges de droits d’émission de polluants au niveau mondial. Chaque pays, chaque individu aura sa part, selon le principe universel de l’équité, afin que tout le monde ait un droit égal à se développer. Ce n’est pas en acceptant d’entrer dans le jeu des Etats-Unis que l’Inde parviendra à ces fins. Des coups tordus peuvent peut-être servir des fins morales. Quelle fin morale espère-t-on atteindre en pactisant dans ce domaine avec le plus gros pollueur de la planète ?Sunita Narain15 septembre 2005

document de référence rédigé le : 1er janvier 2006

date de mise en ligne : 12 avril 2006

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