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ELOY David

Le social, sujet tabou de la gouvernance mondiale

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> Peuples en marche, n°188, septembre 2003

Dans le grand match “économique contre social”, c’est l’économique qui tient aujourd’hui la corde : l’idéologie libérale et sa logique du “tout-marché” sont passées par là, relayées par les institutions financières internationales et l’OMC. Pourtant, au lendemain de la Première Guerre mondiale, la communauté internationale créait l’Organisation internationale du travail, parce que, " sans justice sociale, point de paix ". Que s’est-il passé ? à quand une inversion de la donne ?

En matière de gouvernance mondiale, la question sociale fait aujourd’hui figure de casse-tête. A l’OMC (Organisation mondiale du commerce), là où tout se discute et se décide, elle fait même figure de bête noire : l’échec de la Conférence de Seattle (1999) est encore présent dans les mémoires. La situation est telle que la question a été tout bonnement rayée de l’agenda de négociations de la Conférence interministérielle de l’OMC de Cancun (Mexique), du 10 au 14 septembre... Pourtant, le social n’inspira pas toujours autant de craintes.

Les prémisses d’une gouvernance

En 1919, la Première Guerre mondiale vient de s’achever. Les Etats victorieux, soucieux de voir se maintenir la paix et de régler les problèmes de sécurité collective, créent la Société des Nations. Et dans le même temps, ils décident de créer l’Organisation internationale du travail (OIT). Pourquoi une telle concomitance ? Parce que les Etats sont alors conscients que sans paix sociale, il ne peut y avoir de paix. Le préambule de la Constitution de l’OIT est, à ce titre, révélateur : "[L’injustice] engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger".

Les motivations ne résident cependant pas uniquement dans l’amélioration des conditions des travailleurs. Elles répondent aussi à une vocation économique : pour l’OIT, toute réforme sociale, par ses conséquences inévitables sur les coûts de production, désavantage l’industrie ou le pays qui s’y engage par rapport à ses concurrents. Comme le souligne le préambule de sa Constitution, "la non-adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays". En d’autres termes : il faut collectivement avancer sur la voie du progrès social.

Rattachée en 1946 au système des Nations Unies, l’OIT conservera un statut unique, dû pour partie à sa structure tripartite. La participation des représentants d’employeurs et de travailleurs aux travaux des organes directeurs de l’OIT, sur un pied d’égalité avec les gouvernements, lui confère une légitimité sans précédent... qui inspire aujourd’hui de nombreuses propositions de réforme du système des Nations Unies permettant une meilleure participation de la société civile au fonctionnement des institutions internationales.

Tout au long des années, l’OIT ne va cesser de produire du droit social international, et de poser le cadre d’une gouvernance sociale internationale. En 1998, elle ira même jusqu’à adopter une déclaration relative aux droits fondamentaux au travail (lire encadré ci-contre) qui s’applique à tous les Etats, sans recourir au processus de ratification. Et en 1999, le Bureau international du travail obtiendra le statut d’observateur auprès du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

Un constat scandaleux

Ce qu’il manque aujourd’hui à l’OIT, c’est un instrument équivalent à l’organe de règlement des différends de l’OMC, un instrument qui contraindrait les Etats à respecter les conventions qu’ils ont ratifiées. Mais, comme dans les instances onusiennes, la volonté politique fait encore défaut. Comme si le non-respect des droits sociaux fondamentaux s’avérait finalement plus profitable...

La montée en puissance, ces vingt dernières années, de l’idéologie libérale a eu des conséquences sociales considérables. D’après le Rapport sur le développement humain 2002 du Pnud, "alors que les nouvelles opportunités économiques abondent, 2,8 milliards de personnes vivent toujours avec moins de 2 dollars par jour. Les 1% les plus riches de la population mondiale reçoivent chaque année un revenu équivalant à celui des 57% les plus pauvres. Et, dans de nombreuses régions d’Afrique subsaharienne, les conditions de vie des plus démunis ne cessent de se dégrader".

Reconnues, mais pas appliquées

Si les normes et règles édictées par l’OIT sont universellement reconnues, elles ne sont pas pour autant appliquées. La logique du “tout-marché”, soutenue par les institutions financières internationales et l’Organisation mondiale du commerce, a accentué les phénomènes de dérégulation et l’ouverture de vastes zones de libre-échange dans lesquelles les conditions de travail sont souvent cauchemardesques. Selon le Maquila Solidarity Network, "après 35 ans d’ouverture des frontières et d’investissements étrangers non régulés, la zone frontalière nord-mexicaine est loin de constituer une démocratie pour les travailleurs. Aujourd’hui, il n’existe aucun syndicat indépendant dans les 3 000 usines employant plus d’un million de personnes... Entre 1994 et 1999, le nombre de maquilas [1]est passé de 2 000 à 3 000, et le nombre d’employés de 546 000 à plus d’1 million... Malgré la croissance des investissements, les salaires ont chuté de 9,5%. Alors que les travailleurs gagnaient 2,10 dollars de l’heure en 1994, le salaire horaire était estimé à 1,90 dollars en 1999".

Car, pour de nombreux pays du Sud, la seule solution passe par le dumping social [2]. Incapables de s’imposer dans le jungle de la concurrence internationale dont les règles sont fixées au Nord, soumis au diktat des sociétés transnationales qui réclament des coûts de production toujours plus faibles, les Etats acceptent de jouer sur le coût de leur main-d’œuvre (directement lié à des conditions de travail scandaleuses) pour attirer les investisseurs.

Et plutôt que de recourir à des mécanismes contraignants pour résoudre ce problème, la communauté internationale se défausse de plus en plus aujourd’hui sur le secteur privé. A l’ère de la régulation publique succède une nouvelle ère : celle de l’initiative privée, du partenariat public-privé.

Etat absent et entreprises responsables ?

Ainsi, en 2000, Kofi Anan, le Secrétaire général des Nations Unies, lançait le Global Compact... [3], une initiative qui vise à construire un partenariat entre les entreprises et les Nations Unies, partenariat caractérisé par un engagement des entreprises en matière de droits de l’Homme et de respect de l’environnement. Mais c’est surtout une initiative qui, sous couvert de mobiliser des ressources et de promouvoir certaines valeurs, illustre le retrait progressif des Etats de leur responsabilité en matière sociale. Un retrait qui s’est confirmé lors du Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg (2002), où les Etats ont consacré le rôle premier du secteur privé dans la mise en œuvre du développement durable.

Comme les entreprises sont plus favorables aux méthodes “douces” (pas de règles imposées, contrôle minimal...), le débat se pose désormais en termes d’initiatives volontaires. Depuis une dizaine d’années, les concepts de responsabilité sociale des entreprises, de codes de conduite, de label social... [4] - tous issus de la culture managériale anglo-saxonne - se sont imposés comme voie unique pour aborder la question sociale. "Ironiquement, on entend aujourd’hui faire des multinationales les gardiens du droit du travail et des droits sociaux, alors que dans les années 70, on les considérait comme leurs principaux pourfendeurs", s’étonne Nicolas Bullard (Focus on the Global South, Thaïlande). Car, en effet, la responsabilité sociale des entreprises ne saurait se substituer à la responsabilité de l’autorité publique dans l’élaboration de la politique sociale.

La pomme de discorde

Régulation publique ou régulation par les acteurs privés ? Le débat n’est pourtant pas clos. Pour preuve, il déchire toujours l’OMC autour de la fameuse clause sociale.

Par clause sociale, on entend le chapitre d’un traité de libre-échange et/ou d’investissement qui vise à intégrer ou promouvoir des normes sociales minimales. Présentée initialement par l’Union européenne pour permettre un encadrement social du commerce, cette proposition d’une clause sociale a provoqué, au sein de l’OMC, un véritable clivage qui, contrairement aux idées reçues, ne se limite pas à une ligne de fracture Nord/Sud. Même s’il est vrai que beaucoup d’Etats du Sud voient, non sans raison, dans cette initiative une stratégie protectionniste des pays du Nord. Cette proposition conduisait surtout à une remise en question du principe de non-discrimination, cher à l’OMC, stipulant qu’il n’est pas possible de distinguer un produit en fonction de ses modes et procédés de fabrication.

Pas de paix (commerciale) sans paix sociale ! L’adage s’avère toujours aussi vrai. Peut-être serait-il temps pour les gouvernements de revoir leur copie et de reconsidérer la question de la gouvernance sociale mondiale du point de vue des droits des populations, des droits des travailleurs.

[1] Usines de sous-traitance installées en zone franche

[2] Désigne les avantages comparatifs qu’un pays exportateur tire de ses coûts de production peu élevés, liés à la faiblesse de la réglementation sociale, au bas niveau des salaires ou encore à la durée élevée du temps de travail

[3] Nike participe au Global Compact... malgré les régulières violations des droits fondamentaux dans ses usines à l’étranger.

[4] Voir le site du collectif De l’éthique sur l’étiquette : http://www.ethique-sur-etiquette.org.

document de référence rédigé le : 1er septembre 2003

date de mise en ligne : 9 septembre 2004

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