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AGARWAL Anil, Notre Terre

Gobar Times et Gobar Mantri

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> in Notre Terre

Il y a quelques années, une militante du mouvement associatif, Pramila Dandavate, me demanda au terme d’un débat si les écologistes indiens avaient leur emblème, comme le charkha (rouet) de Gandhi du temps de la lutte pour l’indépendance. Depuis j’ai souvent réfléchi à cette question, et j’aimerais aujourd’hui faire part de ma réponse aux lecteurs de Down to Earth. J’ai d’abord pensé que la bicyclette ferait le mieux l’affaire. D’un point de vue écologiste, c’est une bonne chose puisque ce véhicule ne pollue pas l’atmosphère. D’un point de vue social, c’est aussi une bonne chose : le vélo favorise l’égalitarisme. Du point de vue de l’individu, c’est encore une bonne chose, car le vélo maintient celui qui pédale en forme. Pour toutes ces raisons, ce serait un beau symbole, sauf que ce type de véhicule n’est pas vraiment un produit de la culture indienne, contrairement au rouet de Gandhi.

Après mûre réflexion, je crois maintenant qu’il faut chercher la réponse dans la bouse de vache (gobar). Sous diverses formes la bouse de vache est très utilisée en Inde, et elle satisfait à tous les canons de l’écologie. Ce déchet, qu’on pourrait rejeter, est en fait très respecté. Il y a même quelque chose de sacré là dedans. Les gens la touchent sans hésitation. Ils en enduisent les murs de torchis de leurs maisons pour chasser, le croirait-on, les mouches. Asseyez-vous donc sur un sol en terre battue qu’une couche tout juste sèche de bouse de vache recouvre. C’est frais, c’est propre ! Qu’est-ce qui a bien pu pousser une première personne à utiliser de façon aussi imaginative ce déchet ? Car la première action est de l’éviter et non pas de s’asseoir dessus.

Quelqu’un a dû observer la bouse de vache avec grand intérêt et a remarqué qu’elle possédait certaines qualités qu’il serait bon de tester. Compte tenu du fait que les femmes passent tellement de temps à s’occuper du bétail, cette personne était probablement une femme, et une personne imbue, comme par instinct, des meilleurs principes du recyclage. Même de nos jours les villageois utilisent au mieux la bouse de vache, dans la partie occidentale de l’Himalaya. Dans ces montagnes, les sols en terrasses sont naturellement pauvres. Et pourtant, année après année, on doit les mettre en culture. S’ils restent fertiles, c’est parce que les gens ont beaucoup de bétail, plus pour avoir du fumier que pour avoir du lait. Ils passent des heures dans les bois à cueillir du feuillage et ramasser de l’herbe pour nourrir leurs bêtes. Mais des étables ils sortent ainsi des tonnes de fumier qui serviront à engraisser les champs.

Il ne faut pas croire que toutes ces photos de femmes en train de porter sur leur tête des paquets de bois à feu sont la preuve d’une crise énergétique. On se tromperait complètement sur le fond des choses. Chaque femme de l’Himalaya a chez elle des tonnes de bouse de vache qu’elle pourrait utiliser pour son feu, ce qu’elle ne fait jamais. Elle préfère consacrer des heures à aller chercher du bois dans la forêt et garder le moindre déchet animal pour fumer ses champs. Malheureusement, dans bien des régions de l’Inde, les femmes ne peuvent aller se servir dans les forêts puisqu’il n’y en a pas. Alors elles doivent faire du feu avec de la bouse séchée. Chaque année, des millions de tonnes partent ainsi en fumée. En Inde, la bouse de vache est plus importante que l’électricité, le charbon ou le pétrole. Il y a quelques années, alors que je m’exprimais devant la Commission consultative parlementaire du Ministère de l’énergie, le ministre, Sushila Rohatgî, me demanda ce qui n’allait pas dans la politique énergétique du pays. Son administration, répondis-je.

L’énergie atomique, la moins importante des sources d’énergie, c’est le ministre le plus important qui s’en occupe, c’est-à-dire le Premier ministre. Puis viennent dans l’ordre l’électricité, le charbon et le pétrole, qui ont tous leur propre ministère ou leur direction particulière. Ce n’est pas le cas pour le bois, la bouse de vache et les autres résidus de l’agriculture, qui sont pourtant les premières sources d’énergie. C’est ainsi que j’expliquai à ce ministre comment l’Inde devait se doter d’un Gobar Mantri, autrement dit d’un Ministre de la bouse de vache. J’avais parlé sans hésitation car je venais de montrer aux parlementaires des diapositives où l’on voyait des gens du Gujarat et du Rajasthan en train de poser une pierre ou planter un morceau de bois dans chaque bouse qui tombait sur les terres collectives pour bien signifier que cette bouse leur appartenait. A vrai dire, dans le tout premier numéro de Down To Earth, il y avait une étude qui montrait comment à travers l’Inde les gens des campagnes s’approprient leur part de bouse de vache sur les communaux. Je ne peux donc imaginer meilleur symbole pour illustrer l’esprit même de l’écologie. Les lecteurs de Down To Earth conviendront-ils avec moi qu’une belle meule de bouses séchées, comme les femmes de l’Haryana savent si bien en faire, symbolise au mieux le mouvement écologiste de l’Inde ? Ou bien ma tête serait-elle un peu... bousillée à trop penser à toutes ces choses ?

date de mise en ligne : 6 octobre 2004

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