bibliotheque internationale pour un monde responsable et solidaire ritimo

Le portail rinoceros d’informations sur les initiatives citoyennes pour la construction d’un autre monde a été intégré au nouveau site Ritimo pour une recherche simplifiée et élargie.

Ce site (http://www.rinoceros.org/) constitue une archive des articles publiés avant 2008 qui n'ont pas été transférés.

Le projet rinoceros n’a pas disparu, il continue de vivre pour valoriser les points de vue des acteurs associatifs dans le monde dans le site Ritimo.

cartographie interactive >  cultures et identités  > L’affaire du riz basmati

CHAKRABORTY Leena, Notre Terre, SETHI Nitin

L’affaire du riz basmati

  • imprimer
  • envoyer
  • Augmenter la taille du texte
  • Diminuer la taille du texte
  • Partager :
  • twitter
  • facebook
  • delicious
  • google

> in Notre Terre n° 7, novembre 2001

Grand et mince, teint blanc chatoyant : on dirait une annonce matrimoniale dans un journal indien, mais il s’agit de ce riz qu’on appelle Basmati et qui fait l’objet de contentieux entre certains pays. Des gouvernements, des négociants, des agriculteurs, des Ong mobilisent leurs méninges pour protéger ce qu’ils estiment être « leur » basmati tandis que dans des pays occidentaux, des sociétés déposent des brevets et des marques commerciales pour protéger aussi « leur » basmati, en invoquant de nouveaux critères. Jusqu’à présent on ne s’était guère montré curieux sur la nature de ce riz. Comment se fait-il qu’un négociant le repère tout de suite parmi les autres et est prêt à payer plus pour l’obtenir ? Comment deux pays voisins qui se méfient tant l’un de l’autre parviennent-ils à s’entendre pour défendre ce produit qui fait partie de leur patrimoine ?

En 1997, le Bureau des brevets des Etats-Unis autorise la société Rice Tec à commercialiser sous l’appellation Basmati un riz qu’elle a développé et qui aurait des caractéristiques « semblables ou supérieures » au basmati. Le gouvernement indien a porté plainte et paraît se réjouir que toutes les belles qualités attribuées à ce nouveau venu n’aient pas été retenues. Mais tout n’est pas fini : pour bien protéger ce riz de tradition, il faudrait aussi mieux comprendre sa nature et lui accorder une appellation d’origine.

Qu’y a-t-il dans ce grain ?

Il n’est pas très facile de trouver une définition scientifique du basmati, bien que ses qualités soient bien connues. D’une génération à l’autre le paysan qui le cultive, le marchand qui le vend et la cuisinière qui apporte son plat de poulao à la table du repas savent l’identifier par expérience : le basmati sait se faire remarquer parmi ses cousins moins prisés. Tout d’abord, c’est un riz aromatique. Ce n’est pas le seul, mais lui a une odeur de noisette qui se manifeste dès la floraison grâce à un composé volatile que les scientifiques appellent la 2-acétyl-1 pyrroline, et qui alerte le nez de l’arrti (marchand) dans le mandi (marché).

M. Balavari, directeur adjoint du Conseil indien de la recherche agronomique, explique : qu’il vienne des champs de l’Haryana, du Punjab, de l’Himachal Pradesh ou des piémonts des Shivaliks (Himalaya), il possède des mensurations bien typiques : 7 mm de long, 2,5 mm d’épaisseur en moyenne. Les autres variétés ont généralement plus de rondeur, mais lui c’est un grand mince, qui se comporte aussi fort bien à la cuisson. Sa longueur augmente alors de 70 à 120 pour cent, parfois elle double presque. Cela est dû à la structure particulière de ses molécules d’amidon. Et il ne devient jamais gluant à la cuisson : grâce à sa teneur en amylose et amylopectine, chaque grain reste séparé. Le taux d’amylose détermine l’élongation du grain, sa fermeté et lui donne moins de collant et de vernis lorsqu’il refroidit. Le rapport entre amylose et amylopectine, appelé valeur d’étalement alcalin, détermine la consistance et la viscosité du riz cuit. La valeur d’étalement alcalin est un indicateur simple de la qualité du basmati. Il est bien utile de pouvoir classer les diverses variétés de riz suivant les modes de cuisson et les techniques de transformation qui conviennent le mieux. La teneur en amylose du basmati varie entre 24 et 32 pour cent.

Caractéristiques non mesurables

M. Seshadri fait remarquer que les mesures physiques des scientifiques sont incomplètes. Ils disent, par exemple, que la 2-acétyl-1 pyrroline est le principal élément chimique responsable de l’arôme du Basmati. Or il existe plus d’une centaine d’autres composés aromatiques. « Si c’est là l’élément déterminant, pourquoi l’arôme du Basmati n’a-t-il pas été répliqué dans les variétés hybrides qui sont apparues ailleurs ? Il est clair que la science n’a pas encore trouvé toutes les réponses ». C’est en partie pour cette raison que l’Inde a eu du mal à se défendre contre la firme Rice Tec (voir encadré). M. Seshadri poursuit : « Prenez un seul grain de basmati cuit, vous le rouler dans la bouche : il reste ferme quelque temps avant de se désagréger progressivement. Ca c’est un trait non mesurable ». Et il y en a d’autres, des éléments mythiques aussi qui participent des traditions culturelles. Et les mécanismes physico-chimiques internes ne sont pas tout. Le terroir y est pour beaucoup : Punjab, Haryana, Himachal Pradesh, Dehra Dun au pied des Shivaliks, Punjab au Pakistan. Il y a là diverses variétés traditionnelles qui contiennent la 2-acétyl-1 pyrroline mais expriment leur individualité sous l’effet de microclimats et des sols. Le basmati Taraori de la région de Karnal (Haryana) est réputé pour son parfum, celui de Dehra Dun a ses amateurs inconditionnels. Hélas, l’odeur de l’argent fait doucement perdre son arôme au riz. Les variétés à haut rendement mises au point en Inde, le Pusa par exemple, sont loin de restituer le goût exquis du basmati traditionnel. Mais elles rapportent plus à l’agriculteur.

Que font les autorités ?

Pourquoi ne mettent-elles pas en place un système d’appellation géographique pour mieux protéger le riz de tradition ? Il faudrait d’abord qu’elles sachent précisément ce qu’est le basmati : ses attributs essentiels, les terroirs où ils se manifestent le plus franchement. Ses caractéristiques génétiques spécifiques présentent des variantes suivant les souches. C’est pourquoi le Centre de marquage génétique d’Hyderabad a élaboré un protocole pour identifier les hybrides des variétés traditionnelles en utilisant 15 marqueurs. Le basmati pure souche est un produit qui fait l’objet d’une sélection continue de la part du cultivateur. Son rendement est évidemment inférieur à celui des hybrides et il est photosensible, mais il a du parfum.

Le ministère du commerce du gouvernement central projette d’établir une agence de certification du basmati à partir du marquage génétique, mais tout le monde n’est pas d’accord. A la Direction de la recherche rizicole d’Hyderabad on ne souhaite pas que le gouvernement intervienne pour séparer les membres de la famille Basmati entre variétés traditionnelles et nouvelles lignées. Le négoce estime généralement qu’on doit faire bénéficier des hybrides comme le Pusa de l’appellation d’origine, mais en veillant à bien informer le consommateur sur toutes les variétés qu’on lui propose grâce à un étiquetage soigneux. Avec des aires géographiques bien délimitées et des caractéristiques physico-chimiques bien établies, on pourrait mieux s’y retrouver. Il serait plus facile en tout cas de savoir que tel ou tel riz ne peut passer pour du basmati. Alors pourquoi les autorités semblent ne pas comprendre ? Il y a deux explications : information scientifique insuffisante, absence de réelle volonté politique, d’autant plus que certains exportateurs et riziculteurs freinent le mouvement parce qu’ils profitent du flou actuel.

Aux termes de l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPS/ADPIC), signé à Marrakech en 1994, « peut bénéficier de la protection des indications géographiques un produit originaire du territoire d’un Etat membre, ou d’une région ou localité de ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique ». Le véritable basmati pourrait donc bénéficier de la même protection que le Champagne français ou le whisky écossais. En 1999, l’Inde s’est bien dotée d’une loi sur les appellations géographiques, mais les décrets d’application sont toujours à faire le tour des bureaux au ministère du commerce du gouvernement central à Delhi, apparemment sans qu’on ait consulté le Conseil indien de la recherche agronomique. Quand les choses seront véritablement en état de marche, l’Inde pourra traiter bilatéralement avec l’Union européenne et contacter l’Organisation mondiale du commerce pour défendre son basmati sur les marchés extérieurs. Des sociétés commerciales auraient alors plus de mal à lui ravir des parts de marchés avec leurs produits dérivés vendus sous le nom générique de basmati.

Difficile de contenter tout le monde

Il est absolument essentiel que l’appellation géographique soit vraiment authentique. Il ne suffit pas d’affirmer qu’on a plusieurs années de suite cultivé tel ou tel produit dans telle ou telle région. Or l’on voit des hommes politiques sauter sur l’occasion pour affirmer haut et fort que chez eux on fait aussi pousser du basmati depuis quelque temps. C’est le cas au Rajasthan où 163 000 ha sont consacrés au riz et où l’Agence de commercialisation des produits agricoles notamment incite les cultivateurs à faire du basmati dans les secteurs de Kota et de Bundi pour l’exportation. La presse fait état du mécontentement des agriculteurs, qui seraient poussés à réagir par des politiciens soucieux de faire monter la pression pour ensuite tirer leur épingle du jeu. Un gros négociant de basmati, qui souhaite garder l’anonymat, nous a déclaré : « Aujourd’hui vous donnez l’appellation contrôlée Basmati au Rajasthan, demain ce sera au Karnataka. Pourquoi le Kérala, à l’extrême sud du pays, ne réclamerait-il pas la même chose ? » Si l’aire géographique n’est pas véritablement authentique, l’Inde perdra probablement le monopole de ce riz qu’elle partage actuellement avec le Pakistan. Des sociétés céréalières comme Rice Tec diront alors que le basmati n’est qu’un nom générique et pas du tout le produit d’un terroir bien défini.

Des gens qui sont très au courant des dossiers font remarquer que les exportateurs indiens ont aussi leur part de responsabilité dans les embarras présents. L’appellation d’origine ne suffira pas si les exportateurs et les conditionneurs continuent une vieille habitude : mélanger le basmati traditionnel avec des variétés hybrides. En Inde ils ne sont pas obligés de spécifier par un étiquetage précis la nature du produit, mais le cultivateur est payé selon la qualité exacte de sa production. Et le consommateur, qu’il soit en Inde ou à l’étranger, est régulièrement dupé. Les variétés traditionnelles, plus aromatiques, sont plus prisées et l’on sait de source professionnelle que des négociants procèdent donc très fréquemment à toutes sortes de mélanges. Les paquets portent habituellement diverses marques commerciales mais personne ne peut dire s’il s’agit d’un basmati de Pusa, de Karnal ou de Dehra Dun. Le consommateur paie plus cher pour un produit de qualité banale. C’est pour cela qu’une partie des négociants essaient de discréditer les techniques de marquage génétique du Centre spécialisé d’Hyderabad : ils sont contre évidemment. Au Royaume-Uni on procède déjà à ce genre de tests sur le basmati pakistanais et indien.

Pour les responsables indiens la route à suivre devrait être évidente : contester à l’aide de travaux de recherche bien menés et bien documentés les arguments scientifiques mis en avant par des firmes privées, faire bénéficier le basmati d’une appellation d’origine claire, défendable, crédible, exiger des négociants et des exportateurs qu’ils se conforment à des normes de qualité strictes, activer le travail du Fonds de développement spécialement établi par le ministère du commerce pour contribuer à protéger les intérêts commerciaux du basmati. Commentaire d’un négociant : pour défendre le basmati à l ‘étranger, il ne faut pas dépenser que de l’argent public. Les exportateurs doivent participer aux frais car il s’agit bien de protéger aussi leurs profits. Nous sommes à une époque de guerres économiques, et les seules armes dont l’Inde doit se servir sont la recherche scientifique et des hommes déterminés à faire un usage sensé de ses résultats.


L’affaire Rice Tec

En 1997, la société Rice Tec, basée au Texas, obtenait le brevet 5663484 pour protéger 20 caractéristiques que posséderaient ses trois lignées nouvelles de basmati dérivées de variétés cultivées traditionnellement au Pakistan. Quand l’affaire a été portée devant les tribunaux, au fil de la procédure 15 d’entre elles ont été invalidées. Mais l’action juridique continue dans d’autres pays : Espagne, Turquie, Emirats arabes unis... L’Inde est engagée dans une quarantaine d’affaires à travers le monde.

Le brevet accordé à Rice Tec se base sur un paramètre appelé indice d’amidon, qui serait en rapport direct avec la qualité du basmati. En fait c’est seulement une autre façon de parler de la teneur en amylose et de la valeur d’étalement alcalin, qui sont deux tests utilisés depuis longtemps en Inde pour évaluer la nature du grain de riz. Mais comme nous n’avons pas assez de données scientifiques sur les diverses variétés de basmati, traditionnelles ou hybrides, nous avons un peu de mal à défendre nos intérêts. Au Conseil de la recherche agronomique, on entend dire ceci : « Nous sommeillons jusqu’à ce que l’orage éclate sur nos têtes. Si on avait pris le temps de collecter des preuves scientifiques adéquates, on aurait pu facilement se défendre contre des prétendus indices bidons ». C’est seulement maintenant que la Direction de la recherche rizicole se met à analyser les basmati de Rice Tec pour voir s’ils possèdent vraiment les caractéristiques spéciales qu’on lui a attribuées. Certaines semblent bien trop étonnantes pour être vraies. Les Indiens commencent en tout cas à comprendre que pour bien défendre une cause il vaut mieux pouvoir tirer des arguments solides de sa poche.


Le Pakistan défend ses marchés

Certains spécialistes disent que le basmati est originaire du Pakistan, l’autre grand producteur. Chacun développe ses stratégies sur le vaste marché mondial, et quand l’un recule l’autre avance. Pour l’heure, le Pakistan marque des points sur l’Inde, à en juger par le volume de ses exportations. Il y a à cela plusieurs raisons :

  • Au Pakistan, les exploitations sont plus grandes et les rendements sont donc plus élevés.
  • Les autorités ont une politique claire pour encourager les exportations de basmati de bonne qualité.
  • Le Pakistan a été plus habile que l’Inde pour pénétrer le marché européen.

Les Pakistanais misent davantage sur ce riz que les Indiens. « Cela tient au fait qu’il représente une part relativement importante de leurs exportations totales. Et pour garantir autant que possible la qualité du produit, ils ont établi une zone géographique d’origine », note M. Seshadri, directeur de United Riceland, l’un des principaux exportateurs de basmati indien. En dehors de la zone de culture traditionnelle, personne n’a le droit de faire du basmati. En plus, les commerçants doivent afficher le nom de la variété présentée à la vente. Ce n’est pas le cas en Inde. Il faudra que les deux pays reconnaissent mutuellement leurs appellations d’origine et naviguent ensemble pour aller défendre leurs intérêts commerciaux à l’extérieur, dans l’Union européenne, dans le pays du Golfe, etc. Sinon ils risquent de perdre gros.


Le marché européen

L’arôme du basmati ne laisse pas les Européens indifférents. L’UE autorise seulement l’importation de variétés en provenance du Pakistan et de l’Inde. Le riz de la Communauté européenne est de moins bonne qualité mais plus cher parce que ses producteurs bénéficient d’un prix d’intervention. Leur riz ne trouve pas facilement des débouchés et il part souvent dans les pays en développement sous forme d’aide alimentaire.

Avant les négociations de l’Uruguay Round de 1994, l’UE imposait des droits d’entrée prohibitifs sur le basmati. Les exportateurs indiens et pakistanais ont réussi par la suite à convaincre la Commission européenne de réduire ces taxes. Les Etats-Unis ont protesté et réclamé les mêmes concessions pour « leur » basmati aromatique. La Commission européenne a alors compliqué les choses au détriment des exportateurs indiens et pakistanais, qui au bout d’un certain temps ont réussi à obtenir gain de cause à nouveau.

Les autorités européennes constatent que ce basmati déstabilise un peu le marché communautaire du riz et elles tentent de revoir le régime des importations. Les négociations sont en cours, et si les droits de douane sont augmentés l’Inde perdra son avantage actuel. Les tractations de Bruxelles illustrent bien ce que peuvent faire des lobbies intelligents soutenus par les gouvernements. Si l’Inde suit avec vigilance l’évolution du marché international, si elle met de l’ordre dans les pratiques agricoles et commerciales chez elle, le riz basmati pourra rester un monopole indien et pakistanais.

document de référence rédigé le : 1er novembre 2001

date de mise en ligne : 8 décembre 2004

© rinoceros - Ritimo en partenariat avec la Fph via le projet dph et la région Ile de France via le projet Picri. Site réalisé avec SPIP, hébergé par Globenet. Mentions légales - Contact

ritimo