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AGARWAL Anil, Notre Terre

Message à diffuser : récoltez l’eau du ciel !

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> in Notre Terre n° 7, novembre 2001

La récolte de l’eau par les populations locales est un concept qui fait son chemin, en Inde et ailleurs. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que pour assurer la sécurité alimentaire il est de plus en plus indispensable de recourir à la récolte et à la conservation de l’eau.

Pour beaucoup de gens, ceux qui vivent sur des terres dégradées notamment, se nourrir est un souci quotidien. Le rapport de la FAO sur L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde, 2000, note que le nombre des personnes sous-alimentées diminue et continuera sans doute à diminuer : 791 millions (18 pour cent de la population totale) en 1996-1998, 400 millions (6 pour cent de la population totale) en 2030. Mais pour un monde de plus en plus riche, ce chiffre reste toujours une honte. Une grande partie de ceux qui n’ont pas assez à manger sont en fait des petits paysans installés sur des terres dégradées. Et dans ce domaine, l’Inde n’a pas de quoi pavoiser : elle est bien placée. Seuls les affamés de l’Afghanistan, du Bangladesh, de Corée du Nord, de Mongolie, de Haïti, du Nicaragua et de certains pays subsahariens sont plus affamés que les affamés de l’Inde. Mais c’est l’Inde qui fournit évidemment les gros bataillons : en 1987, sur une population de 966,1 millions d’habitants, 207,6 millions de personnes étaient considérées comme sous-alimentées. Plus du quart des affamés du Tiers monde : un sacré record, et peu glorieux !

M. Parvaiz Koohafkan, expert de la FAO, nous dit que la population va augmenter, que les besoins alimentaires se feront plus pressants, que des terres vont continuer à se dégrader si elles sont toujours mal exploitées, qu’il sera alors encore plus difficile de produire assez de nourriture pour tout le monde. L’exode rural qui se poursuit va sans doute libérer des terres pour les cultivateurs qui resteront mais il y aura quand même à l’échelle mondiale une diminution de la surface agricole productive moyenne par habitant. Faut-il donc désespérer de l’avenir ?

Pour imaginer de nouvelles solutions face à ces défis, lors de la réunion de son Comité de la sécurité alimentaire mondiale, la FAO a organisé une séance-débat, avec deux intervenants, consacrée aux expériences de certaines populations locales pour assurer leur subsistance alimentaire et sortir de la pauvreté. Le Comité pourrait s’inspirer de ce qu’elles ont fait pour définir des recommandations pratiques.

Jules Pretty, de l’université d’Essex, a présenté les conclusions de son enquête qui a porté sur 208 projets récents dans 52 pays. Ces projets mettaient en œuvre des pratiques et des techniques de l’agriculture durable. Il les a choisis non pas au hasard mais à bon escient afin de mieux faire connaître ces pratiques et techniques, nouvelles ou anciennes (zéro labours au Brésil, récolte de l’eau au Pérou, conservation des sols et de l’eau et récolte de l’eau au Niger et au Burkina Faso, irrigation au goutte à goutte en Afrique du Nord) et de faire comprendre au plus grand nombre tous les bénéfices qu’on peut en tirer. L’ensemble des projets étudiés par M. Pretty représente une superficie totale d’environ 29 millions d’hectares et quelque 9 millions de cultivateurs. Il a constaté qu’une fois bien lancés, ils ont permis une augmentation de la production de 90 pour cent en moyenne. Dans certains cas on a même atteint les 700 pour cent. Malheureusement les responsables gouvernementaux n’ont toujours pas tiré les leçons de ces expériences. A ce jour, seulement deux pays se sont dotés d’une politique nationale en matière d’agriculture durable : Cuba et la Suisse.

J’étais le second intervenant, et j’ai parlé de ce que les gens avaient été capables de faire dans certaines localités de l’Inde pour remettre en état leurs terres dégradées, et des remarquables retombées économiques. Partout les choses ont commencé par la récolte de l’eau, puis les villageois ont pu mieux soigner leurs champs et leurs bêtes. Quand ils ont vraiment bien compris l’importance de l’eau dans leur environnement local, ils se sont intéressés de plus près aux bassins versants, qu’ils ont entrepris de protéger, de reboiser. Cela leur a apporté de nouvelles ressources : bois, fourrage... Tout ce processus a duré entre 15 et 20 ans, mais au bout de 3 ou 4 années de récolte de l’eau, les revenus globaux de bon nombre de villages avaient déjà augmenté de 4 à 5 millions de roupies (1 R=0,15 centimes).

Si au cours des quinze ou vingt ans qui viennent le même processus pouvait se reproduire dans chaque village indien, on verrait disparaître la pauvreté dans les campagnes et l’Inde doublerait son PNB, avec des moyens à ras de terre. Ce serait là un progrès économique remarquable, réalisé grâce à la mise en valeur durable des ressources naturelles et au travail des populations les plus démunies de la société indienne. Si notre pays est aujourd’hui pauvre, c’est parce que nos hommes politiques et nos spécialistes en tous genres ont laissé tomber le peuple. Dans le système actuel aucun ministre, une fois installé au pouvoir, n’a jamais prononcé les quatre mots suivants : gaon (village), garib (pauvre), kheti (agriculture), paryavaran (environnement).

Lors de cette réunion de Rome, j’avais commencé mon intervention en disant qu’on allait peut-être considérer mes propos comme bien exagérés. J’étais prêt à guider les incrédules sur les lieux pour qu’ils voient de leurs propres yeux. Mais mon message a été bien reçu. Les délégués sénégalais, par exemple, m’ont immédiatement demandé de bien vouloir venir faire une visite au Sénégal après qu’ils auront fait connaître le contenu de mon intervention au président de la république. Si le Sénégal pouvait profiter de certaines expériences indiennes, tant mieux. Mais il faudrait aussi que les politiciens, les fonctionnaires et autres notables de mon propre pays acceptent d’apprendre ce que font les gens ordinaires de l’Inde.

Et pour la première fois depuis cinquante ans les responsables de certains Etats de l’Union indienne sont en train de changer de mentalité : au lieu de mettre en place des secours d’urgence en période de sécheresse, prendre les devants. A la suite de la sécheresse qui a sévi en 2000 et en 2001, les dirigeants de l’Andra Pradesh, du Gujarat, du Madhya Pradesh et du Rajasthan ont lancé de vastes programmes de récolte de l’eau de pluie. Celui du Madhya Pradesh s’appelle « Arrêtons l’eau ! », et c’est sans doute au plan mondial le plus gros effort qu’on ait réalisé dans ce domaine. Au chant de Gaon ka paani gaon me, Khet ka paani khet mein (L’eau du village reste au village, l’eau de la ferme reste sur la ferme), 706 304 structures ont été construites entre février et juin. Dans ces quatre Etats il y a aujourd’hui plus de 20 000 villages qui ont pris la chose au sérieux.

Et ils n’ont pas tardé à s’en féliciter car cette année il y a eu de bonnes pluies en juin et juillet et elles ont rempli les réservoirs que les gens ont construit avec l’appui du gouvernement et des Ong. Tout le monde est content évidemment, mais il subsiste des problèmes. Premièrement, il faudra bien entretenir ces structures. Deuxièmement, la récolte de l’eau n’est qu’une première étape. Pour remettre en état l’environnement local et l’économie locale, il faudra dix ou quinze ans. Qu’en sera-t-il de l’appui gouvernemental et associatif pendant cette période ? Troisièmement, à qui appartiennent ces infrastructures, à qui appartient l’eau tombée du ciel ? Il est temps de décoloniser des lois héritées de l’Empire britannique et de confier cette précieuse ressource à ceux qui la récoltent.


L’histoire nous apprend que des milliers d’ouvrages construits au fil du temps sont tombés en désuétude et dans l’oubli à cause de l’indifférence des dirigeants. Pour ce qui s’est fait sous l’empire de la sécheresse au cours des deux dernières années, les erreurs du passé vont-elles se répéter ? Tout dépend de la façon dont les ouvrages seront gérés. Le chief minister du Gujarat a dit que ce sont les services de l’équipement et de l’irrigation qui s’en occuperont car l’eau est la propriété de l’Etat. Les barrages du programme d’urgence ont été construits avec un financement public de 60 pour cent et une participation locale de 40 pour cent et ils sont actuellement gérés par les gens du pays. Si l’administration prend les choses en main, la population va se désintéresser du mouvement. De plus les dirigeants du Gujarat misent essentiellement sur l’énorme barrage de Sardar Sarovar qui a permis de survivre à la sécheresse, disent-ils. Et le leader de l’opposition ajoute : « Les projets communautaires ne sont pas la solution ! »

Dans l’Etat voisin du Madhya Pradesh, le gros problème c’est aussi de trouver le bon système pour que les efforts accomplis récemment se transforment en un véritable mouvement populaire. Les autorités sont en train de prendre les mesures nécessaires pour transférer officiellement la propriété des ouvrages aux assemblées de village (gram sabhas). Mais cela soulève des problèmes de pouvoir local : les sarpanches des panchayats (= maires des villages) se sont massivement opposés à cette initiative.

En Inde, la plupart des programmes de lutte contre la pauvreté ont échoué par ce qu’il leur manquait la durée. Et pour qu’une tentative de réhabilitation de l’environnement débouche sur des jours meilleurs il faut des structures communautaires solides et équilibrées. Très souvent les plus démunis n’ont guère profité de l’opération. Les gens les plus influents ont toujours tendance à tirer les draps à eux quand les conditions s’y prêtent. Un vieux praticien du développement autocentré, Anna Hazare (voir Notre Terre n° 5), affirme : « En enfermant les projets dans un calendrier fixe on obtiendra sans doute quelques résultats techniques. Mais pour assurer par la suite un exploitation durable des ressources produites, il faut des structures adaptées pour gérer le projet ». Si on ne fait pas dans la durée, tout cela se traduira par un gaspillage d’argent public, note un responsable du ministère central du développement rural. Son service, qui s’occupe de la mise en valeur des bassins versants, a élaboré un système de partenariat avec des structures locales à la fois pour faire sentir la présence des pouvoirs publics et pour aider à organiser la population. Comme dit un militant engagé dans ce genre de travail, la plupart des comités de bassins versants s’occupent surtout de la construction des ouvrages, en laissant de côté les facteurs sociaux. Pour faire durer les choses, il est pourtant essentiel de construire aussi la société.

document de référence rédigé le : 1er novembre 2001

date de mise en ligne : 7 octobre 2004

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