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KURIEN John, Notre Terre

Pour un avenir moins précaire

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> Centre d’études pour le développement, Trivandrum, Kérala, Inde, 30 décembre 2004, traduit par Gildas Le Bihan

Face au Tsunami qui a frappé le sud-est asiatique, l’auteur s’interroge : "Faut-il la mort de milliers de pêcheurs et de gens de la côte et les dévastations sur le compte d’un phénomène purement naturel ? Si les dispositions de la loi pour la protection du littoral (CRZ) avaient été appliquées, sans l’octroi d’échappatoires et de passe-droits en tout genre, des milliers de vie auraient-elles été épargnées ?"

Il fait également des propositions pour l’avenir : une application stricte de la loi de protection du littoral, la (re)mise en place, avec la participation des communautés, de défenses naturelles, former les populations côtières pour faire face à des situations critiques, gérer les crises et secourir les victimes et enfin confier la gestion des crises à l’échelon approprié, selon le principe de subsidiarité.

Personne ne pouvait prévoir le tremblement de terre qui, à partir des profondeurs de la mer, allait apporter la dévastation sur des milliers de kilomètres de littoral dans l’océan Indien. Contrairement aux grosses vagues de la « tempête parfaite », les tsunamis ne se font pas vraiment remarquer et ne sont pas d’un effet dramatique en mer. Elles sont très espacées (de 10 minutes à une heure) mais leur amplitude est très vaste, parfois plusieurs centaines de kilomètres.

Le tremblement de terre ou l’irruption volcanique qui déclenche le séisme lui donne une énergie énorme. Les vagues se propagent dans l’océan à grande vitesse, sur de vastes distances, sans vraiment faiblir. Et quand elles rencontrent un obstacle, leur effet est dévastateur. En arrivant sur le plateau continental, l’onde est freinée et le front de la vague ralentit. Il se produit alors un ampilement des masses d’eau, comme un tapis plissé contre le mur d’une pièce.. L’eau s’élève à une dizaine de mètres avant de s’abattre sur le rivage, ralentie certes mais capable d’abattre arbres et constructions, d’emporter les embarcations loin dans les terres. Cette frappe n’est accompagnée ni de vent ni de pluie ni des signes habituellement annonciateurs d’orage ou de cyclone.

On ne peut guère reprocher aux scientifiques, aux spécialistes de la météo l’absence de prévisions. Faut-il pour autant tout mettre - la mort de milliers de pêcheurs et de gens de la côte, les dévastations - sur le compte d’un phénomène purement naturel ? Les Etats et la société civile ont peut-être négligé d’appliquer des solutions à long terme qui auraient permis de préserver bien des vies humaines.

Lorsque les populations littorales sont touchées par une calamité naturelle (cyclone, raz-de-marée, invasion d’eau de mer), elles doivent d’abord la plupart du temps se débrouiller toutes seules, malgré leurs moyens limités. Il y a aussi l’intervention d’associations, d’organisations non gouvernementales dont l’action est très précieuse pour soulager les victimes. La première réaction des responsables politiques est une solution de facilité : annoncer le déblocage de financements publics exceptionnels, et se faire bien voir en distribuant vivres et matériel divers. On connaît trop les cas de corruption qui accompagnent ces opérations : inutile d’insister ! Tant que tout cela reste de l’actualité chaude, les médias montrent abondamment le tragique de la situation. Ils apportent leur soutien à la collecte de fonds, et le public fait preuve de générosité. On pense généralement que tout l’argent récolté servira aux victimes.

Mais le temps passe, la roue tourne. Et les victimes de la tragédie se retrouvent finalement seules avec leurs problèmes. Nous savons tous que, des mois et même des années après un tremblement de terre, un cyclone, une inondation, l’aide promise à chaud coince toujours dans les circuits. Et à la prochaine alerte, le scénario se reproduit. Dans un pays aussi vaste que l’Inde, il y a forcément de la place pour des calamités naturelles. Un désastre c’est aussi du business, une affaire de gros sous.

Sur la base des archives, on peut avancer que les tsunamis se produisent tous les soixante ans environ : 1881, 1941, 2004. Celui de juin 1941, qui a détruit une partie du centre pénitencier de Celluar dans les Andaman, a été provoqué par un tremblement de terre sous-marin. Selon les journaux, le phénomène a été ressenti sur la côte est de l’Inde et a fait quelque 5000 victimes. Soixante ans, c’est bien plus long que l’espace entre les cyclones, les inondations et le reste. Il s’en produit presque tous les ans. Est-ce qu’on aurait dû prendre des mesures préventives à long terme, est-ce que le coût de l’opération justifierait les avantages escomptés ? Il serait bon de réfléchir à tout cela.

Si les dispositions de la loi pour la protection du littoral (CRZ) avaient été appliquées, sans l’octroi d’échappatoires et de passe-droits en tout genre, des milliers de vie auraient-elles été épargnées ? Y aurait-il eu moins de morts si les pêcheurs avaient pu construire leur logis en retrait de la route côtière au lieu de camper sur les délaissés entre la route et la plage ? Si l’on avait vraiment mis en œuvre tous les programmes de protection du littoral (qui prévoient le renforcement des barrières naturelles, les communications pour la sécurité en mer, l’entraînement des populations à réagir aux catastrophes...), y aurait-il eu moins de morts, moins de dégâts ? Si l’on avait d’abord confié aux collectivités locales (populations et municipalités du littoral) la responsabilité de la gestion des crises, avec évidemment les moyens financiers et matériels indispensables, on aurait peut-être perdu moins de temps et diminué la casse. La priorité de l’heure c’est évidemment de faire face au plus pressé, d’aider les milliers de gens qui ont vu leur vie basculer aussi soudainement. Cela n’empêche pas de réfléchir aux problèmes qui vont se poser dans la durée.

Il faut tout d’abord s’occuper du logement des pêcheurs. On comprend qu’un pêcheur veuille vivre près de la mer. Est-ce une raison pour les laisser sur le rivage hors des périmètres cadastrés ? Il faut une application stricte de la loi de protection du littoral : interdiction d’occuper une bande de 200 à 500 m à partir de la laisse de haute mer. Certains gouvernements locaux de l’Union indienne prétendent qu’il n’y a pas, côté terre de la route côtière, de terrains libres pour installer les communautés de pêcheurs. La vérité c’est que les terrains disponibles appartiennent à des personnes privées, ou à l’Etat, et qu’il y a mieux à faire avec ces espaces que d’y construire des logements pour des pêcheurs démunis ! Ce mensonge doit être dénoncé, et il faut s’engager pour acquérir les terrains nécessaires à la reconstruction des nouveaux villages de pêcheurs. Il y a beaucoup de monde au bord de la mer, la densité est très forte sur une bande de 500 m. Au-delà, elle est bien moins élevée. On voit bien que dans ces divers espaces, ce ne sont pas les mêmes droits fonciers qui s’appliquent.

Ceci dit, on peut aussi reprocher aux pêcheurs et à leurs groupements de paraître accepter le statu quo. Ils réclament uniquement de pouvoir, par dérogation à la loi de protection du littoral, construire dans l’espace qu’ils occupent présentement, trop près de la mer. Si on demande au gouvernement d’acquérir des terrains privés ou de consacrer des terrains faisant partie du domaine public à la construction de logements destinés aux pêcheurs, on va passer pour un extrémiste. Aucun parti politique n’oserait se lancer dans une telle démarche de peur de déranger les intérêts puissants qui possèdent généralement le foncier aux approches de la côte. Et pourtant c’est la seule solution durable pour empêcher la mer de grignoter ou d’avaler les logis des pêcheurs lors d’un raz-de-marée, d’un cyclone ou bien plus rarement d’un tsunami. Il suffit de regarder les images de la tragédie qui se déroule actuellement. Sur les côtes du Tamil Nadu en Inde, plus les habitations étaient éloignées de la mer, moins il y a eu de morts, et vice versa.

Deuxième suggestion : pour réduire la force de la nature, il faut se mettre sur le pied de guerre et, avec la participation des communautés, mettre en place des défenses naturelles : palétuviers, filaos (arbres à feu), oyats... Face aux conséquences de cette tragédie, c’est le moment ou jamais pour l’Etat, l’Administration et les populations locales de se lancer dans ce travail. Certains Etats de l’Union indienne, l’Andra Pradesh par exemple, ont eu par le passé une Direction du littoral qui avait pour mission de s’occuper de ces choses. Au Kérala, il existe, à l’état de rapports, un projet de Direction pour le développement participatif des zones côtières. C’est le moment de donner du nerf à de telles structures spécialisées.

Il y a un autre aspect dont on a beaucoup parlé, sous forme de promesses. Il s’agit des communications pour la sécurité en mer et la formation de la population pour faire face à des situations critiques. De nouvelles techniques sont maintenant à la disposition de nombreux pêcheurs : GPS, téléphones portables... Pour les pouvoirs publics, il est bien plus facile qu’il y a dix ans de mettre en place un réseau de communications approprié pour la sécurité en mer, les opérations de sauvetage, et aussi le travail des pêcheurs.

Autre priorité : la formation en matière de gestion des crises et de secours aux victimes. Dans ce domaine, on fera appel aux jeunes des populations de pêcheurs, en les organisant en brigades dotées d’un uniforme et d’une reconnaissance sociale pour principal avantage. Ces jeunes sont naturellement bien adaptés pour participer à des interventions car la plupart savent nager et beaucoup bénéficient d’un savoir traditionnel et peuvent peut-être déceler dans la nature les signes avant-coureurs d’un séisme. Et ils ont maintenant vu de leurs propres yeux les dégâts que peuvent causer les tsunamis. Des reportages à la télévision ont montré que, dans les secteurs les plus durement frappés du Tamil Nadu, les villages qui avaient bénéficié d’une formation pour temps de crise se sont mieux organisés. On a parlé de nombreux cas de pêcheurs risquant leur vie pour se porter au secours de touristes du côté de Kanyakumari et de Vellankani, bien avant l’apparition de la police et des services officiels de secours. Au cœur de l’événement tragique, ces pauvres n’ont pas pensé qu’à eux-mêmes.

Dernière suggestion : la gestion des crises doit être confiée à l’échelon approprié, selon le principe de subsidiarité. Le cadre idéal serait, il me semble, la municipalité (panchayat), avec un responsable principal chargé de s’occuper d’un fonds d’urgence et du matériel de secours disponible. L’information sur les événements et les opérations devront remonter de la base jusqu’aux District collectors (= préfectures) qui interviendront selon la gravité de la crise. Le métier de pêcheur est, de loin, le plus dangereux qui soit. Dans l’Etat du Kérala, au cours des dix dernières années, on a recensé en moyenne un décès de pêcheur tous les quatre jours. Il existe là-bas un fonds public d’indemnisation pour ce type de sinistre. Mais il faudrait en plus prévoir un système d’assurance qui s’appliquerait aux pertes humaines et matérielles collectives provoquées par des désastres naturels, lesquels frappent souvent ceux qui vivent de la mer. Ce fonds devrait être entièrement à la charge des budgets publics.

On travaille maintenant dans l’urgence pour venir en aide aux victimes. Après, il ne faudrait pas que l’Etat et la société oublient peu à peu de se préoccuper des conséquences sur le long terme. Pour l’heure, les populations littorales sont hébétées par ce qui leur arrive, par l’étendue des dégâts. Elles ont besoin de porter un regard nouveau sur leur situation d’avant et d’envisager certaines perspectives pour un avenir moins précaire.

document de référence rédigé le : 30 décembre 2004

date de mise en ligne : 14 février 2005

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